Je me shoote au chagrin des autres et du mien J’élague les sanglots et dégorge les peines Je fais des confitures de bourdons cafardeux avec de vrais morceaux de tristesse dedans Je flaire le malheur à plusieurs kilomètres comme un requin le sang qui pleure d’un blessé J’ai besoin de ce fix pour planer à travers les plis de la journée et les plaintes du soir Je sens monter les larmes comme une jouissance. |
Quand je m’use les yeux entre des murs aveugles devant un écran bleu en quête de bonheur quand des amis me disent avec mansuétude qu’il est avantageux de savoir où aller quand moite je me cogne aux miroirs de ma vie pour qui c’est chaque jour le jour des encombrants quand des enfants sournois lacèrent mon visage parce que je souris autrement que leurs pères où œuvres-tu Seigneur qui nous dit-on rachète maquignon sans vergogne tous les péchés du monde ? |
Si cela ne suffit pas j’ajouterai des oiseaux et peut-être des anges (l’acrylique sur toile n’aime pas les mélanges) dans un coin du tableau et dans l’autre une étoile ou plutôt un soleil au-dessus d’une piscine lascive et bleu Hockney où mes deux baigneurs nus parce qu’ils n’ignorent pas que je peins le bonheur nageraient cent longueurs sans langueur. |
Tu passes beaucoup d’heures, les meilleures de tes jours et de tes nuits, devant un écran plat, petite merveille technologique qui te bombarde de pixels. Il t’offre les débats, les combats, les ébats, les fictions, les romances, la plongée en apnée dans des histoires de cul, les films de Cap d’Agde et d’épée de Damoclès qui manquent si cruellement à ta vie sédentaire. Excité, fasciné, hypnotisé, passif et prosterné, tu t’endors sans prières devant ce dieu qui tremble. Et tu te réveilles vide de ce que tu as vu. Pourtant tu penses que parfois ton téléviseur voudrait te dire quelque chose. Il ne trouve pas les images. |
Le petit dieu de tes imperfections peut dormir sur ses deux oreilles sourdes Né avant-hier et de manière absurde déjà on lui crée une religion Son Panthéon draine des pèlerins Loué soit-il pour ses fiers coups de reins Priape et Pan avec leurs ventres ronds époux puceaux boursouflés d’importance bandent en chœur pour son omnipotence Je l’ai prié D’autres le brûleront. |
Cueillir le jour Courir les rues Sauver la face Nager nu Caresser l’air Vivre l’instant Aimer l’ami Dormir l’amour Ouvrir les mots Prendre parti Chasser des souvenirs Voler Braver les ordres Rester sobre Brider les peurs Planter un arbre Voir avec force Parler vrai Se tenir droit Marcher sans but Trembler sous la nuit Rire au vent Mettre les fantômes au pas Chérir les morts Fuir la Bêtise Perdre son temps Trouver sa place N’obliger personne Ne pas Juger par l’écorce le cœur. |
Ma grande sœur déconseillait de soupirer contre le vent de recueillir un chat l’hiver et de pleurer l’estomac vide Elle avait bien d’autres lubies que sublimait son célibat mais je ne vous les dirai pas (ou bien dans un autre poème) Sa maison était une ruine et de nombreux corps de métier s’y succédaient après journée Elle offrait des bières et sa joie aux ouvriers qui riaient fort jusque bien tard dans son taudis (je me souviens de leurs odeurs) Un soir je l’y trouve endormie dans un bain de mousse bleu pâle (la porte n’était pas fermée) À la hauteur de son nombril flottait un luxueux sextoy (je me rappelle sa couleur) Quand j’ai voulu la réveiller il a plongé comme un voleur. |
Archives de l’auteur : Karel Logist
| Un coeur lent [extraits]
aux polyamoureux J’aime être étouffé par l’étreinte d’une ville inconnue et par ses labyrinthes quand tout sens de l’orientation vacille et devient incertain Enfant déjà, j’allais vers les fêtes foraines pour leur Palais des glaces et dans les parcs à thèmes me perdre aux dédales de buis Aujourd’hui encore les tracés tortueux comme les pistes fausses me procurent un vertige qui fait battre vite mon cœur pourvu qu’il puisse errer du côté où il veut Et je refuse les fils d’Ariane et je titube cru à raison ou à tort vers les gueules concaves d’aimables minotaures Quant à mes méandres lascifs oui : je préfère au lit les polyamoureux aux amoureux polis. |
invention de l’oubli Les arbres boivent la lumière et l’eau du fleuve leur reflet Avril met les bouchées doubles C’est un bon mois pour t’oublier prendre une distance polie et ne plus me parler de toi Ce printemps invente une langue que je peux comprendre Il s’agit de mettre à mal ma nostalgie Je vais lancer ton souvenir contre le miroir de mes jours Et l’on verra bien qui se brise. |
cœur incomplet On ne se dépêtre pas ainsi en deux temps trois mouvements et quelques tours de clé de tout le cher passé Ce serait trop facile s’il suffisait de dire basta de repeindre les murs de couper les compteurs et de fermer les portes Il faut se lever tôt reprendre à bras-le-corps les pièces du puzzle vider de vieux cartons respirer leur poussière parfois évacuer d’une larme un cil mort dans un battement de paupières – les mains sont occupées – Le cœur n’affiche jamais complet. |
chagrin Tout ce qui s’égrène le cœur d’une grenade les grains de ta beauté les chapelets soufis les grappes de raisins les pois écossés les groseilles les blés dans les greniers la grammaire des sabliers le grésillement des bouliers les engrenages gangrenés la grande Garabagne la grenouille grégaire les granulés de bois la grippe et la migraine les points de suspension les jours et les heures les minutes et les secondes tout ce qui s’égrène me chagrine. |
carnet de doutes À quoi bon des certitudes des carcans et des canevas ? À quoi bon des plans de carrière des almanachs, des échéances des ultimatums sur l’amour des embargos sur nos semblables ? Et si nous construisions mais sans échafaudage Et si nous écrivions dans nos carnets de doutes à l’encre sympathique Et si nous voyagions avec l’instinct du cœur et avec l’intuition pour seules et solaires boussoles ? Où nous allons, demain ne pèse pas plus lourd qu’une haleine d’enfant dans l’œil noir du cyclone. |
cœur incomplet On ne se dépêtre pas ainsi en deux temps trois mouvements et quelques tours de clé de tout le cher passé Ce serait trop facile s’il suffisait de dire basta de repeindre les murs de couper les compteurs et de fermer les portes Il faut se lever tôt reprendre à bras-le-corps les pièces du puzzle vider de vieux cartons respirer leur poussière parfois évacuer d’une larme un cil mort dans un battement de paupières – les mains sont occupées – Le cœur n’affiche jamais complet. |
contre l’abattement Accorde-moi un dernier verre de l’alcool fort de ta jeunesse Après la guerre forcenée et ma défaite accorde-moi la pacification par la caresse fauve de tes épaules et de ton torse offerts Abonde Luttons Bande contre l’abattement qui menace mes jours l’arc blond de ta beauté. |
| La Traversée des habitudes [extraits]
Sur la Batte, un matin qu’il neige doucement je revois cet ami dont les cils ont blanchi Il déprime il se plaint de tout et de sa vie du chômage qui dure et des années qui passent en noir et blanc, du sort de ses photographies On est dans le chemin La foule nous encercle ça se bouscule autour Il poursuit sa complainte. Son parapluie se prend aux cheveux d’une fille comme lui d’Italie et leurs rires se croisent Toute la neige glisse et sa tristesse avec : Ils ont des amis communs, peut-être des cousins Ils s’esclaffent ensemble entrelacent deux langues Un soleil sicilien réchauffe les flocons Massimo m’offrira un verre après l’hiver. |
Nous sommes trois debout dans une file indienne attendant que la pharmacienne se libère d’une quinquagénaire en proie à ses démons ménopause neurasthénie et cellulite Nous sommes là qui triturons nos ordonnances toi pour ton viagra, lui pour sa méthadone moi pour un supplément de vitamine D trois hommes que leur vie malmena jusqu’ici La pharmacie est de garde jusqu’à midi Des miroirs trop polis accusent nos profils Un ensoleillement hors saison s’y reflète Le temps est arrêté mais l’ennui veut poursuivre le cours interrompu d’un dimanche d’hiver fatigue, accouplement, solitude et sevrage. |
Tenir la chambre écrire mes poèmes sur le temps qui n’est plus sur l’inconfort d’aimer sur les amis qui n’ont plus tout à fait les mêmes égards à mon endroit depuis que mon bonheur ne passe plus par toi. Me souvenir aussi que nous faisions l’amour dans l’éveil de nos sens en dépit du bon sens. Rester au lit Écouter la Brit pop qui ne vieillit jamais Prendre une cigarette, l’écraser convaincu que fumer le jour nuit davantage que la nuit. |
Tous les poètes font semblant d’être tristes ou d’être gais semblant d’écrire des vers blancs ou rimés si bon leur semble. Quand ils sont gais, ils abordent la vie avec le sourire le vin sans sobriété tristes ils exécrent leur nombril et leurs semblables semblablement exécrables. Les poètes mettent des mots mots qui pleuvent ou qui volent comme ils peuvent et où ils veulent. ça les console d’être poètes mais en surface en vérité ça ne résout pas leurs poèmes. |
« Quelle époque », grogne-t-elle. Le bus n’est pas pressé. Il avance à pas d’ours Lovés sur les sièges du fond, garçons rieurs aux corps graciles, deux ados se roulent des pelles « Quelles moeurs », acquiesce-t-il. Ils sont vieux comme le monde désapprouvent de concert parlent un peu de tout des plaisirs et des jours Elle se rend sur la tombe de son deuxième mari Il va à l’hôpital Peut-être une tumeur Il demande où descendre « C’est l’arrêt juste avant le cimetière », dit-elle Je suis seul à sourire dans ma barbe d’imberbe. |
Si on ouvrait le dimanche matin qu’est-ce qu’on y trouverait ? À coup sûr des croissants peut-être des oeufs frais, des grasses matinées ? des promesses de soleil ? des retours de la messe ? des étreintes suspendues par le rire des enfants ? Est-ce qu’on retrouverait dans les entrailles tièdes d’un dimanche matin les joies acidulées du week-end qui culmine à son humble zénith ? |
Indivisible vie arrête-toi un peu marque une courte pause Regarde-moi comme un ami dont on ne sait plus trop que faire parce qu’il n’a jamais écouté vos conseils Je suis toujours à toi désireux de mieux faire à l’avenir s’il vient Indivisible vie Escorte-moi longtemps partagé mais vivant. |
| 374 marches [extraits]
Chaque escalier de Liège a son double quelque part. Jacques Izoard Tu te sens à l’abri de la mort quand tu marches quand tu gravis les trois cents septante quatre marches qui te mènent de la rue Hors-Château à la rue du Péri le cœur bien accroché dans cette certitude que tu vas jusqu’au bout de ce que tu connais Et marcher te va bien et tu fais lentement l’inventaire des possibles et des bonheurs plausibles dont tu as tant besoin Tu gravis les degrés un à un Tu t’appliques Tu ne t’essouffles pas bien vite Tu es content Ta course est un peu vaine Comme l’est cette escalade et comme l’est souvent ton quotidien parfois vide de sens mais l’étranger qui marche en toi te tient la main t’encourage à poursuivre Certains soirs quand tes rêves sont ivres il leur arrive d’enfoncer des portes ouvertes Alors ils te forcent à sortir de toi à quitter le lit de tes livres à entrer tout entier dans la mémoire de tes paysages secrets Ces nuits-là tu te relèves tu te vêts tu t’élèves tu prends tes jambes à ton cul et tu prends d’assaut l’imposante Montagne dite de Bueren « chère au cœur des Liégeois » disent les prospectus Les touristes parfois à propos de ce lieu ont d’étranges attentes et parlent d’aller voir l’escalier de Buren Bien sûr – et c’est le lot de l’approximation – ils repartent déçus de n’y avoir trouvé les bandes noires et blanches aux mêmes intervalles caractéristiques du travail de l’artiste français […]s Montagne de Bueren, un matin de septembre tu te souviens d’avoir été ce lent grimpeur combien de fois déjà dans l’ombre ou la lumière seul ou accompagné du fantôme d’un poète qui boite et te parle de Liège en rêve et en ivresse Mis bout à bout tous les escaliers de Liège conduiraient à la lune ou au centre de la terre L’entrée des escaliers souterrains se trouve au pied des remparts d’Hocheporte Porte secrète dissimulée sous les fleurs Il est encore là et te parle à l’oreille de sa voix précise, sinueuse et insinuante interrogeant ta vie et ses envies muettes cette vie aujourd’hui à l’image de quoi ? de quel piètre gâchis ? Tu t’es trompé Tu as trompé Tu t’es trahi Tu as trahi Tu as plongé et nagé en eaux troubles Tu as élevé le mensonge en principe vital et tu es encore là Tu as abandonné On t’a abandonné Tout le monde te manque Où dorment tes amis ? Tu ne peux même pas rêver que tu arrives en sueur et content et que quelqu’un t’accueille bras et visage ouverts une femme un enfant un ami ou un chien Tu vas seul c’est ton choix Montagne de Bueren avec ses habitants que l’on ne voit jamais apparaître à leurs portes dont tu aimes sourire en les imaginant à bout de souffle et traînant des cabas biscornus Pourtant il n’y a jamais personne sur les seuils Ces maisons seraient-elles toutes inhabitées parmi leurs beaux jardins ? Parfois tu te surprends à penser que toi aussi un jour tu rêveras à nouveau de jardins Tu gravis gravement L’ascension est un lieu cher à l’alexandrin le rythme de ta marche dit qu’il sait où il va Le soleil est certain de son itinéraire Et tes mots le disent en chœur Que le cœur de la ville batte ! N’empêche que tous les dimanches si le pouls de Liège s’entend c’est dans les veines de la Batte […]] |
| Desperados [extraits]
Désespérés, nous ne le sommes que parce que nous voulons tout Le bonheur fou dès qu’on le nomme prend ses belles jambes à son cou et n’ honore plus ses rendez-vous. |
Je vous salue / mes compagnons de route et de déroute / passants d’anonymes partages de mon voyage sans boussole / frères obscurs des passages secrets / Qu’on ne me cherche plus de ce côté de l’eau / dans un rang sur une scène ou dans la loge sept / Je me mets entre parenthèses / je prends le large / je déserte ma rue / ma cour ma demeure ma chambre / ma femme mon enfant et mes bêtes / pour donner corps aux quelques rêves / que je perds trop souvent de vue / pour un autre versant du monde / plus juste plus honnête / plus transparent sans doute / où j’apprends à me supporter / Et cela ne va pas sans amour / et cela ne va pas sans colère / et cela ne va pas sans regret / Ne me reprochez pas de m’être séparé / de toutes vos tendresses / elles ne sont pas perdues : je les garde en réserve / et j’en goûte chaque jour une saveur nouvelle / Je n’abandonne personne / je me sépare un peu / je cesse d’être deux / je me coupe en quatre / pour et contre vous / Vous n’allez pas comprendre / vous ne comprendrez pas / Posez là vos réponses / ne cherchez pas de clé / qu’on ne me juge pas / Je demande pardon sans confesser de fautes / à tous ceux que je blesse / Je cours après un but / dont mes yeux cernent les contours / seulement un court moment / quand des larmes apparues / m’aveuglent et repartent / comme elles sont venues. / Ne vous étonnez pas / Vous m’avez vu rompre des ponts / refuser votre bras tendu / vous m’avez vu descendre / vous ne me verrez pas tomber / Mon parachute s’ouvre / et les dés sont jetés. |
Tu m’as envoyé ce sms : « tu me manques » / exactement à une heure trente quatre / En Allemagne du Sud où s’écoulent mes journées / entre l’attente et le passage du poème / je ne découvre ton mot / qu’à l’heure du déjeuner / Et que veux-tu que je réponde à cela ? / Là-bas / de l’autre côté de mon monde / tu dors avec un homme / peut-être enveloppé de ses bras / peut-être contre son dos tourné / un homme dont tu parles plutôt amoureusement / dont tu déplores juste le manque de tendresse / et que tu vas sous peu épouser / « Tu me manques » / onze lettres que tu as composées / dans quel but ? / un constat ? / un reproche ? / un regret ? / un appel ? / Qu’attends-tu que j’en fasse ? / Quel rôle me réserves-tu encore dans ce spectacle ? / dans ce jeu doux amer dont tu annonces / et dénonces les règles / au fur et à mesure que / mon – le mot amour ne me sert plus du tout – attachement / en voulant reculer progresse. / Je te retourne ton message / avec les mêmes mots / dans un autre désordre / Je ne l’efface pas. / Je ne t’efface pas. / Je ne m’efface pas. |
Je me rase le crâne. Content : / plus un seul cheveu blanc / et je me rends dans cette salle de sport / que je fréquente un jour sur deux / Là des garçons au ventre plat / aux muscles bandés me saluent / m’encouragent de cent dents blanches / me narguent peut-être… / Comment en être sûr ? Ce n’est pas grave : / leur jeunesse me réconforte / Je pédale / Je cours / C’est ma grande manœuvre / Je cours et je pédale / pour n’aller nulle part / Je me proclame Atlas de la salle de sport / Atlas de fort peu d’envergure / je soulève en souffrant de modestes haltères / et rêve de porter à bout de bras la terre. |
D’accord, je te promets de ne plus être sombre / et de ne plus verser des larmes sur des ombres / de ne plus prendre feu / de reprendre courage / de ne pas rester seul / Je te promets de ne plus rester tard / d’essayer / d’empêcher mes regards / de dévorer tes lèvres / de prendre du recul / Je te promets la lune / autoroute lactée que je n’emprunte guère / parce que tu n’y es pas / Mon sevrage est en cours / comme tu me l’as demandé / Tu ne t’en rends pas compte / Quand nous sommes tous deux / je ne te touche plus / je ne t’embrasse plus / je t’observe j’écoute / et je vole en secrets à tes lèvres la sève / des mots que tu murmures / des rêves que tu racontes / pour les mettre dans ce poème / dans un ordre / que tu sauras avant longtemps / quand nous ne ferons plus ensemble que des mots / sur une page qu’on tourne / Je te promets / d’être sage à tes noces / de ne pas me soûler / de jouer les enrhumés / quand rouleront mes larmes / Je te promets en somme / – un mensonge de plus / tel un café amer / expresso de fortune / exactement dosé / et vaguement suspect – / de ne plus t’adorer. |
La dame d’onze heures est venue / pour ses cheveux et t’a donné / pas mal de boulot : beaucoup de mèches à arranger / à démêler à recouper / (en plus c’est une sacrée emmerdeuse par moments !) / tu es sur les genoux et l’estomac dans les talons / tu es content / tu as gagné 30 € / à la sueur honnête de ton front douloureux / que tu me donnes à embrasser / La dame d’onze heures est une pute / adorablement belle et charmante franco. / Elle exerce son art à Ans dans un meublé / Y élève un enfant entre deux rendez-vous galants / avec amour / Son annonce sur le web compte une faute d’orthographe / « jeune femme propose des massages justes en face du Colruyt » / Pas grave, me décoche-t-elle admettant son erreur / les hommes ne sont pas trop regardant à cela / « Orthographe mon cul » / conclut-elle amusée / En hommage à Raymond Queneau ? |
Après cette aventure à son corps défendant / On se retrouve seul, à fleur de peau, morose / Méchant, on pense mordre ; on se casse les dents / Même les plus beaux vers sonnent comme une prose / On rassemble des os, des rêves, des charades. / Alentour tout est mort. / L’étonnant voyageur y pose son bagage / se remémore une aube, une caresse, un port / et relate comment s’est passé son naufrage / On aura tout perdu / On repart de plus belle. |
| Mademoiselle Grand et Monsieur Belle [extraits]
d’un chapeau de paille Quand on demande à Monsieur Belle comment et où il va, invariablement il répond « vers l’été. » Pour mieux appuyer ses dires, il se coiffe d’un chapeau de paille. Il y emprisonnera dès juillet le soleil, (si l’occasion s’en présente,) et, affirme-t-il haut et fort, ne le libérera qu’en échange d’une forte rançon. |
des vieillards Malgré tout ce qu’on peut lire dans les manuels de savoir-vivre, Mademoiselle Grand défend le point de vue qu’il n’est pas toujours possible de respecter les vieillards. Bien sûr, c’est ce vers quoi il faudrait tendre, admet-elle volontiers. Et en particulier en avançant en âge. Car il est rare bien sûr qu’on reste complètement indifférent au sort de la vieillesse, ne fût-ce qu’à la sienne propre. Cependant elle ne saurait trop conseiller aux jeunes gens prometteurs de se tenir à l’écart de tous ceux qui arborent canne, lunettes à double foyer ou tempes blanches. Car ces gens-là, prévient Mademoiselle Grand, sont hautement contagieux et, si vous n’y prenez garde, par leur conversation, leurs manies et leurs peurs, auraient tôt fait, sans le moindre espoir de rémission, de vous faire vieillir avant l’heure. |
de la magie Mlle Grand, en ce temps-là, ne possédait rien du tout pas même le poids de ses paupières ni l’éclat de ses souvenirs et c’est peut-être ça qui rendait si léger son regard Elle ne possédait rien pas un abécédaire pas même un livre de magie Et si quelqu’un parlait de purger une fontaine ou du temps ou d’une rumeur elle écoutait à peine puis se vidait du peu qu’on venait de verser en elle Quelques photos de grands-parents venus visiter son sommeil prenaient la poussière au soleil d’une cheminée désaffectée elle ne se souvenait pas d’eux. Ni propriété ni fortune ni famille, ni patrie non plus Les animaux parfois lui rendaient ses caresses et ça la rendait belle et payait le loyer. |
des Trapulp Dans le Grand Atlas des Peuples, Mlle Grand lit que chez les Trapulp, la natalité a repris de plus belle depuis l’arrivée sur le marché de la mode des bébés jetables. La formule en est simple : quand le désir de maternité devient irrépressible chez une Trapulpe, c’est son mari qui se rend illico à la halle aux marmots et fait l’emplette d’un bébé. Car c’est entièrement l’affaire de l’homme de faire ce choix important : comment sinon revendiquerait-il sa paternité ? Si, endéans les deux ans, la progéniture devait ne pas tenir ses promesses, on la rapporte au fabricant, qui l’élève lui-même, la recycle ou s’en débarrasse dieu sait comment. C’est d’ailleurs son problème et pas celui du consommateur. La corvée de l’acte sexuel n’en est pas pour autant tout à fait supprimée dans la tribu, pas plus que la polygamie, car le mâle trapulp reste attaché à ses prérogatives ainsi qu’à ses traditions ancestrales. Ainsi les Trapulp font-ils souvent l’amour mais ne se perpétuent qu’environ une fois l’an, par adoption et jamais à date fixe. Quand les dents leur font mal, c’est le jour des bébés. |
du sourire à l’enfant À qui sourions-nous, se demande Mademoiselle Grand, quand nous sourions à un petit enfant ? À nos propres enfants ? À notre propre enfance ? Aux années prépubères, aux années d’insouciance et de pur étonnement ? Lui sourions-nous vraiment avec sincérité ? Nous sourions-nous ? Peut-être sourit-on bien au-delà de lui, à un fantôme de soi-même dont ce petit enfant se serait fait, juste pour nous émouvoir, un masque saisissant de ressemblance… Quel enfant flotte alors à la surface de nos sourires ? |
de la poésie « L’avenir appartient aux indécis » assène M. Belle, sentencieusement. « Et la poésie à tous ceux qui savent se taire et écouter pousser les poils dans leurs oreilles. », renchérit Mlle Grand, en son for intérieur. d’une promesse Avec l’amant de l’œil, Mademoiselle Grand peint des orages. Avec l’arpenteur de nuages, elle cherche son chemin sur la terre comme dans le ciel Ensemble, ils ont des yeux, dit-elle, plus grands que leurs voyages. Ces deux-là savent prendre le temps de tutoyer les anges Ils notent les nuages, en décrivent les formes mesurent leur vitesse les baguent quelquefois (si le vent le permet) Quand finit la saison, quand finit leur mission, Mademoiselle Grand ne laisse partir ses deux amis avec la promesse de se revoir quand nous serons très vieux et nos sens apaisés – autour d’une tasse de buée. |
des poèmes d’amour Un jour je t’écrirai, murmure Mademoiselle Grand dans une oreille amie murmure Mademoiselle Grand avec ce fin sourire qui ne s’use jamais Un jour je t’écrirai des poèmes d’amour. Je t’écrirai, un jour quelques poèmes d’amour (puisque tu y tiens tant) Des poèmes d’amour si clairs et si profonds qu’on peut se voir dedans ou même s’y noyer Un jour je t’écrirai des poèmes d’amour liquides et limpides dans lesquels tu seras et que tu pourras lire que tu pourras relire à ton aise et comblé quand je n’y serai plus. |
| Eboulis oubliés [extraits]
Moi aussi je voudrais avec les blocs de pierres laissés à l’abandon (les souvenirs heureux que tu as mis en tas pour mieux les oublier) construire à l’identique un couple en tout semblable à ce que nous étions lorsque nous étions fiers graves souvent jaloux Que sont devenus les fous rires qui savaient nous prendre la main nos grands projets nos doux délires ont-ils suivi d’autres chemins ? Nous avons l’âge de nos pères et nous ne savons plus aimer Et je voudrais comprendre pourquoi si peu d’années ont érodé les murs fissuré la façade et comment l’habitude a tué les amants comment le pincement au cœur, l’absence amère et le soupçon du pire à chaque instant sans l’autre se sont évanouis éboulis oubliés dans une poussière d’été |
Il y avait un jeu de cartes éparpillé sur le trottoir mouillé à quelques mètres devant chez toi Nous sommes passés en les évitant Tu as monté l’escalier après moi Tu m’as dit Arrête lève un peu ton pied droit et tu m’as montré en riant comme s’il s’agissait d’un augure collé à la semelle de ma basket un crasseux roi de cœur Cela signifie-t-il ? Et pourquoi souris-tu à travers quelles larmes remontées en surface ? |
Elle m’apporte ses poèmes sur lesquels il a un peu plu je lui rappelle ceux que j’aime et ceux qui simplement m’ont plu Elle dit « excuse l’imprimante… » Elle vient de lire Maldoror Elle a une haleine de menthe et prend sa vie à bras-le-corps Je voudrais lire avant l’hiver Le Bateau ivre sur ses lèvres) |
Orgie à la ruine On égorge en cuisine les ogres sont muets Qui leur demande l’heure sur le coup de minuit aura le cœur percé de quatre gousses d’ail puis la tête coupée On égorge en cuisine sans façons, ni regrets sans passion, ni rancune ça se passe entre nous entre gens d’un même monde bâtisseurs du chaos inventeurs de l’espace et malgré tous nos soins ces recettes s’ébruitent et font le tour du monde. |
Et l’on s’en veut d’avoir laissé les heures tout envahir comme de mauvaises herbes entre de vieilles pierres (les heures de sommeil de mensonge et d’ennui les heures dans le passage) Et l’on s’en veut d’avoir été lent et lourd quand il eût fallu laisser le vent soulever notre vie partir sans hésiter sans l’ombre d’un scrupule Aujourd’hui – faut-il encore parler de jour ? – il se fait tard, nos voix nos maisons, nos parcs, nos jardins sont dévastés par l’incurie et la nuit nous en fait reproche Dans la chambre des morts une porte claque aux âmes |
On vous a vus mesurer la lumière On vous a vus danser dans l’oeil de l’engrenage Dessiner au pastel les lèvres d’un tueur Repasser les contours de son portrait-robot On vous a vus sourire à la terre comme au ciel On vous a vus baiser les pieds d’une statue On vous a vus tracer des croquis sur vos mains On vous a vus lancer de lourdes ombres nues à l’assaut des nuages et percer leur blancheur avec vos crayons gras On vous a vus baisser les yeux, détourner le regard de toute nostalgie On vous a vus les mains au fond des poches étreindre des couteaux de marbre On vous a vus numéroter des pierres On vous a vus monter l’escalier invisible qu’on disait transparent On vous a vus cueillir aux branches des cerises On vous a poursuivi mais vous alliez plus vite On vous a vus percer des boîtes aux lettres Retirer les mauvaises nouvelles de la main gauche On vous a vus posé des pierres sur l’arpent On vous a vus semer des jardins sur le toit. On vous a vus sourire. |
Un architecte doit savoir : arpenter mais aussi charpenter, dessiner mais aussi destiner, compter mais aussi raconter intervenir mais aussi inventer créer loin des chantiers battus Un architecte doit non seulement mais aussi ensemble savoir faire des plans et faire des enfants. |
| Si tu me disais viens [extraits]
Nous voici rendus à nos solitudes Nous voici rentrés du voyage bleu Voici qu’il repleut et le soir élude les jours et les jeux qu’on croyait perdus Nous avons trahi quelques habitudes Nous avons failli vouloir être heureux |
La vie au lendemain de ma vie avec toi ne sera pas moins douce ne sera pas moins belle juste peut-être un peu plus courte peut-être aussi moins gaie La vie au lendemain de ma vie avec toi ne sera pas ceci ne sera pas cela ne sera pas souci ne sera pas fracas ne sera pas couci ne sera pas couça ne sera pas ici ne sera pas là-bas Ma vie sera séquelle, sera ce qu’elle sera ou ne sera plus rien Certains jours, par défi, je ferai de petits voyages sur nos traces je ferai de petits voyages sur nos pas Et là je te ferai de petites fidélités tant pis si tu l’apprends si tu dois m’en vouloir si jamais tu m’en veux de te l’avoir appris entre ces lignes-ci J’irai revoir des lieux que nous aimions ensemble Je ne tournerai pas en rond Si ça ne tourne pas rond je prendrai nos photos dans la boite à chaussures sous le meuble en bois blanc et je regarderai encore par-dessus l’épaule du bonheur combien tu étais belle comment nous étions beaux J’achèterai un chat que j’appellerai Unchat en hommage à l’époque où j’en étais bien sûr incapable à tes yeux Le thé refroidira ; personne pour le boire L’été refleurira ; personne pour y croire Je ne vais rien changer à l’ordre de mes livres déplacer aucun meuble J’expédierai nos cartes qui disaient le destin mais jamais l’avenir à nos meilleurs amis J’allongerai les jours Je mettrai des tentures dans la chambre à coucher pour allonger un peu également le sommeil de mes nuits mes nuits au lendemain de mes nuits avec toi La vie au lendemain de ma vie avec toi je la veux simple et bonne je la veux douce et lisse comme le plat d’une main qui ne possède rien et ne désigne qu’elle. |
T’arrive-t-il de désirer la demoiselle de magasin ? d’imaginer furtivement son baiser doux comme le raisin et son plaisir ? Elle se prénommerait Harmonie le temps ne passerait pas sur elle ni sur sa bouche qui sourit ni sur ses yeux qui nient qu’elle rêva d’être la plus belle Elle verrait que tu la regardes prendrait ton désir pour le sien tournerait peut-être la tête T’arrive-t-il d’être amoureux d’un profil qui court à l’oubli à la vitesse d’un nuage dans le passage le plus bleu ? |
Tu te souviens d’avoir tenu un œil de verre toute une journée caché dans ta bouche Tu te rappelles avoir dansé aussi avec un poisson sur l’épaule à travers de longues nuits blanches A présent tu te sens chez toi dans tout espace dont tes yeux ont soif où grandit ton irrésistible besoin de tendresse ton besoin d’en donner de recevoir encore d’ici, d’ailleurs et sans mesure la promesse de moments de douceur Tout ce que tu possèdes tient dans cette main d’enfant serrée dans la tienne S’il pleut, elle voudra jouer à qui mouille-l’œil des gouttes, des larmes ou du rire Pour que tu joues aussi, il faudrait des nuages |
Elle lui parle dans son sommeil pour lui dire qu’elle l’aime. Elle visite ses songes pour voir si elle y est s’ils y sont tous les deux Elle ne dit pas les mots qu’il faut Elle ne les aura jamais dits Elle lui parle dans son sommeil Faute d’aimer encore et d’être désirée par l’homme de ses jours par l’homme de ses nuits elle se met à parler à l’homme de ses rêves Espère-t-elle ainsi éveiller en douceur un homme pour ses insomnies ? |
On me trouve adorable on trouve que je pique on me somme de jeter mon rasoir électrique et mes lames jetables On aime mes odeurs On parle quatre langues peut-être mieux encore quand nous nous embrassons On aime qui je suis tant que je suis aimable on ne demande rien tant que je donne tout On veut faire avec moi un bout de chemin oui mais on ne sait jusqu’où ni qui montre la voie On parle de me tatouer de me marquer au fer du souvenir heureux On fait collection de photos d’amants assassinés pour avoir trop aimé On me les place sous les yeux On me menace On parle de me séquestrer parmi ses jouets les plus chers et de me nourrir de caresses dans la chambre des jours qui passent On me trouve adorable On oublie que je pique |
Traverses-tu parfois en faisant ton jogging ou retour de l’usine l’île Monsin qui abrite le Port autonome de Liège où se plaisent la nuit, dit-on, tant d’invertis (où l’on tourne, où l’on passe, sur le même canal la même bande annonce annonce si tu bandes ou va te faire foutre) ? T’arrive-t-il de stationner un peu sur l’aire de repos surplombant les terrasses pour étancher ta soif ou reposer tes jambes satisfaire un besoin ou simplement pour voir comment Albert 1er – vu par Louis Dupont – adossé à quarante-deux mètres de phare prend son plaisir debout entre les cuisses de la Meuse ? |
| Le sens de la visite [extraits]
C’est chaque fois plus dur plus acéré plus noir ça court de jour en jour à rebours de l’espoir ça vous écrase un homme ça grince, ça patine ça racle, ça cramponne moi je reste à ma place je tiens bon, je m’agrippe je m’accroche, je grimace je plaide, je ploie, je pleure je tiens le coup, je mords sur ma chique je m’applique à voir plus loin plus clair à la vie à la mort je pourrais lâcher pied reprendre le collier mais je n’ai pas la force de faire demi-tour Tu veux qu’on échange, tu veux ? Tu veux ? Tu la veux ? Viens la prendre ma place au soleil comme tu dis Tu veux ma place ? Prends la toute mais balaye mes traces lâches et lasses parts d’ombre sur les vitres du jour. |
Il était blond mais italien Il portait une chemise vert-pomme Il portait beau Nous lui faisions bonne impression (il se targuait de bien connaître les hommes les femmes mieux encore (clin d’œil à mon endroit)) mais ne voulait pas se vanter de ses faveurs Il avait beaucoup voyagé et vers le Nord en français dans le texte – beaucoup roulé sa bosse en Allemagne, il avait appris l’Allemande en France, la Française, en Flandre la Flamande et puis à l’autre bout du monde un peu aussi Seul le pays des kangourous l’avait déçu Nulle part, il n’avait douté de son pays ni de l’aimer ni de le faire aimer à tous. Il posait les questions mais aussi les réponses Etions-nous à Rome pour la première fois ? Y avions-nous des amis ? Avons-nous observé comme le Capitole est mal famé la nuit ? Ai-je aussi remarqué comme les filles sont jolies les terrasses fleuries ? Il y avait ces jours-là des cas de varicelle, soyons prudents : ne serrons pas de mains et n’offrons pas nos lèvres Notre guide parlait plus vite que le vent et nous perdions la route et le sens de ses mots à l’assaut des églises et des temples antiques le bavard nous soûlait cependant que la Ville rayonnait alentour en se moquant sous cape de la situation. |
Tes amis prennent de tes nouvelles de ta santé, de tes poèmes tu leur en donnes d’imaginaires tu leur en donnes de tes doubles de tes louves et de tes loups fourbies dans les ténèbres épaisses de ta farouche solitude. Non, tu ne vas pas bien qu’on se le dise, mais tout bas : ta vie, à reculons, montre ses vrais visages : trahisons, rebuffades et dentelles souillées. |
Aujourd’hui j’ai sauvé la vie d’un escargot, sans raison, sans calcul, pour le simple plaisir de sauver une vie. Il n’était pas question de rivalité entre nous. Ce n’était pas lui ou moi : il était bel et bien le seul en danger. Lui, au milieu du trottoir, fragile et sur le point d’être écrasé sous la première semelle venue. Moi, au milieu de ma vie, fort, large et gorgé de tous les espoirs. Lui, tombé d’un arbre et venant tout juste de se chier dessus. J’ai pris l’escargot dans ma main. Je lui ai soufflé au visage des paroles d’encouragement, puis je l’ai posé doucement, lentement, jusqu’à ce qu’il y adhère parfaitement, sur la branche du sorbier qu’il venait de quitter. Aujourd’hui, j’ai pesé une vie d’escargot. |
Est-il une façon de sortir de ceci, d’ouvrir le feu sans se brûler la peau, sans manger sa parole ou se mordre la langue, de sortir de la nuit les pieds légers tout sourire en haussant bellement les épaules. (Vivre les nerfs à vif, cela ne nous vaut rien) Est-il une façon de sortir de ceci ? La connais-tu la manière élégante d’ouvrir le bal sans desservir la danse, de dire « tout est loin » et d’aller à la ligne de se tenir à bonne distance l’un de l’autre de dire « tout est loin » sans changer de trottoir et questionner encore comme chaque matin le regard du marchand d’automne « Quoi de neuf sur le front des rêves ? » |
Nous ne parlons jamais au passé nous passons Parfois nous nous taisons et pendant nos silences des souvenirs s’écrivent Je t’offre des fleurs sans épines du poisson sans arêtes des olives sans noyau. Tu caresses le général J’embrasse le particulier tu vis trop vite je parle trop fort nous nous aimons Nous ne parlons jamais de passion nous passons du temps dans les bras l’un de l’autre à ne rien faire que caresses et sourires et penser à des livres qu’on aimerait relire mais dont le titre est oublié Le catalogue automne-hiver obsolète au printemps prochain est posé là entre nous deux Il dit en petits caractères ce que nous ne savons pas encore qu’au magasin de vivre ensemble même s’il n’a jamais servi aucun article ne s’échange Nous ne parlions jamais du passé nous passions. |
Je suis fleur bleue en amitié. Ça va te paraître suspect à toi qui crains les sentiments les plans pas clairs ou les embrouilles Moi qui suis carré en amour comme une montre de plongée j’aime nos rendez-vous complices et nos sourires entendus nos confidences au masculin sur la portée de nos espoirs la mesure de nos ambitions l’envergure de nos projets et la taille de nos pénis (aucun danger je te le jure à toi qui hais les quiproquos tu n’as pas à serrer les fesses tu ne dois pas serrer les poings je n’ai pas ta photo sur moi et ton poil ne me trouble pas J’aime ta bouche pour ses mots j’aime tes yeux pour leur regard et j’aime les raisons qui nous mettent à bonne distance du chaos – J’aime savoir quand tu vas bien j’aime savoir quand tu es mal Par-dessus tout j’aime avec toi être fleur bleue en amitié |
| Un danseur évident [extraits]
un poco loco C’était une nuit de grand cynisme La lune pleurait des marées On avait mis des chiens à table Des colliers de larmes de loup Autour de la gorge des filles Chacun voulait battre son fou Mais les fous ne se montraient pas Et restaient assis en silence Dans les coulisses du paradoxe Les enfants parlaient de me pendre De me livrer aux fourmis rouges Puis de me faire brûler vif Et j’avançais à pas prudents Dans le sillage de leurs jeux En faisant flèche des serpents lovés autour des jours heureux. |
tears inside Il se peut qu’elle passe Comme à son habitude Vivement Les jambes nues L’œil noir comme je l’aime Et que ce coup de vent Balaye les paroles Que j’aurai préparées Et quelques certitudes Qu’elle ne s’étonne pas Qu’au lieu de vivre un peu Je regarde pleuvoir Autour de moi le monde Et ses baleines blanches Qu’au lieu de lui sourire Je regarde trembler Immobile et muet Mes doigts tenant la page D’où s’efface notre histoire. |
don’t explain (pour T.B) Tu t’étonnes de la femme à barbe Et tu t’indignes de la dette Tu t’émerveilles du poids des vagues Tu ris aux anges quand tu aimes à la fille qui te fait l’amour Tu titubes dans un champ de mots Miné bien avant ton passage Tu soupires en la compagnie De vieilles filles sans merci Qui te congratulent d’être jeune Et tu saignes de la bêtise Et tu te blesses avec l’idée Que tout a déjà été dit. |
so what D’autres posent là une couverture, un carton Une paillasse, un matelas, pas elle. Elle est assise par terre, à même le sol Qu’il soit de poussière ou de boue De huit heures à midi. Après quoi, Dieu seul Si elle croyait en lui Saurait ce qu’elle devient et où elle disparaît. Tout bonnement assise là elle ne demande rien. Elle ne tend pas la main. Elle ne fait pas état de besoins Ni étalage de pauvreté Elle ne montre ni ne démontre. Elle ne prétexte pas, elle n’invoque Ni bouches d’enfants, ni fins de mois difficiles, Ni gueules de chiens à nourrir. Elle se tait. Elle ne négocie rien ; elle n’en appelle pas aux passants Elle les apostrophe Sans sourciller, sans un sourire : “ Bonne chance ”. Les exhorte-t-elle ainsi pour que toute sa malchance Agisse comme un paratonnerre. Et cela s’achète-t-il ? Cela s’échange-t-il ? Cela passera-t-il Comme passe le reste. |
giant steps pour P.L. Vous êtes amateurs Vous êtes candidats Vous êtes animateurs Vous êtes animés des meilleurs sentiments Vous êtes généreux Vous êtes jeune ou vieux Nous sommes à genoux devant votre génie Vous êtes aux gourous et nous sommes aux anges Vous savez les dangers Vous ne vous gênez pas Vous n’êtes pas gêné Nous aimons la jeunesse Vous ne reculez pas devant aucun spectacle Vous ne reculez pas devant aucun obstacle Vous ne roucoulez pas Vous n’êtes pas pigeon Vous faites en six cents signes le tour de la question Vous êtes chaste et pur Vous baisez comme un dieu N’avez pas froid aux yeux Vous êtes chaud lapin Vous avez l’œil narquois Vous narguez la femelle Vous savez l’argument qui gagne ses faveurs Vous êtes un bel esprit Vous faites jolie figure Hantez un corps parfait Votre haleine impeccable parfume quatre langues Vous mangez tous les jours de ce pain-là c’est bon Vous ne vous mêlez pas Vous n’emmêlez personne Vous en menez plutôt large Vous êtes assureur Vous assurez Vous êtes rassurants Vous aimez le pouvoir Vous êtes amateurs Vous êtes éclairés. Nous sommes rassurés. |
‘round midnight Toutes les nuits, tu as de petites peurs Souples et malléables comme des bras d’enfant Autour de tes épaules nues Tu crains qu’il soit l’heure Des cambrioleurs roux Tu crains que les volets ne se relèvent pas Restent à jamais coincés Que la rouille, le brouillard, de mauvaises pensées Ou de mauvaises rencontres t’imposent leur loi Tu crains que ce soit lui Les bras mouillés de sang Qui vient chercher son dû Toutes les nuits, tu caches tes jouets Sous l’oreiller des fées Dans la botte du géant Toutes les nuits, tu serres tes angoisses Tu les tords, les étreins, Tu les trais ; il en sort Une transpiration qui te chasse du lit à la rencontre de bruits, de craquements et de voix Dont le jour se souvient, Et des rêves aussi. |
lush life C’en est fini des jeux de gamin, tu t’équipes D’un cellulaire aux aguets à ton flanc D’un costume trois pièces, de quatre cravates gaies Une pour chaque jour de la semaine Et sous cette livrée, on t’arme capitaine Adoubé par la main qui t’a tenu la tête Hors de l’eau quand l’humeur était à la noyade Loin du four quand le gaz entrait dans tes poumons Tu vas leur montrer qui est le maître du monde Bleu électrique où tes cavaliers se déplacent Dédaigneux des ténèbres et de la pesanteur Et tu vas leur apprendre à ces bourreaux fantômes Qui détient qui décide et qui dicte sa loi Aux marchés Aux marcheurs Aux marches du palais à la belle princesse Qui snobait tes caresses Tu t’équipes, tu t’armes D’un bonheur sur mesure et d’un destin portable |
| J’arrive à la mer [extraits]
Ils savent le jour Ils savent le chemin Ils savent comment conduire une vie Leurs chaussures sont d’usine leurs aventures aussi Ils avalent le brouillard du matin Ils savent dans quel sens ils savent de quel droit Tout est clair et pour l’heure ils sourient Ils ne reculent pas ils ne raccrochent pas S’ils foncent à corps perdu, s’en donnent à cœur joie c’est en plaçant leurs pas dans l’empreinte d’hier Ils savent de mémoire l’horaire des retours. |
Dans ma chienne de vie Il n’y a pas cent choses que j’aime avec fracas : mes livres sont muets qui parlaient du bonheur Il y a bien le rire d’un enfant sous la pluie La course d’une étoile ou le flanc d’une vague Il y a mes plaisirs domestiques, leurs revers (puis toi mais tu t’en vas toujours) Il y a le bien-être qui ne dit pas son nom Et qui s’en va aussi pour d’autres, comme toi Comme le jour avec la nuit et ses couleurs Ce soir nous sommes deux parmi vingt : tu souris Tourné vers les poètes j’applaudis ton profil Et les voix et les mots et ta beauté qui filent. |
Ne touchez pas les fils même tombés sur le sol de la littérature de gare, direz-vous Cannes à pêche, promesses, drapeaux et inquiétudes gardez ces grands objets à distance des rails Le soupçon m’électrise et dans mes solitudes je m’ébroue de chagrins gros comme un jour heureux je craignais et je crains la vie plus que la mort et ne ramasse jamais le feu avec mes mains en cherchant le sommeil je troue de rêves creux l’oiseau qui croyait faire le printemps sur ces fils. |
Ne roue jamais de coups un ami de fortune ne l’admoneste qu’avec de riches réserves de miel Il te les rendrait au centuple, ces coups avec les joies et les tourments d’un corps qu’à l’insu du temps il prolonge Ne foule pas aux pieds un ami de passage mais veille que ton visage survive en lui jeune et lisse comme une poire et qu’un rire de fontaine s’échappe encore de lui lorsqu’il sera stérile, avare, accablé d’années et de maux, et qu’il se souviendra intarissablement d’avoir bu avec toi. |
Je préfère une cause légère Je préfère un train de fleurs fanées Les veines de ma mère ont les mêmes traverses Je suis né dans l’Impasse des possibles Je préfère une cause légère des amours de passage un bonheur éphémère un coucher de soleil un amitié en août La gravité du monde, je la dédie à d’autres Je préfère égarer la tangente et recouvrir mes traces par mes pas Les loups, s’ils ont mangé nos pères, nous ont au moins laissé leurs rêves à ronger. |
Et j’aime ton rire aux fossettes et j’aime ta courte mémoire et j’aime pourquoi tu te fâches et j’aime comme il faut t’aimer – et j’aime quand il faut rester parce qu’il est tard que tu doutes et j’aime comment tu hésites à dire que tu t’éloignes à dire que tu nous lâches et j’aime tes désistements tes coups de cœur tes coups de bluff et tes retards en amitié et tes mensonges par omission et j’aime regarder passer au printemps les filles avec toi et quand tu donnes d’un sourire le signal de se retourner |
De quatorze heures à la tombée du jour Marco, tu viens ici t’asseoir sur ces pelouses et voir s’y prélasser des garçons amoureux et des filles dénudées puis tu rentres chez toi parce que les policiers quand vient la nuit opèrent des contrôles (tu ne supportes plus leurs yeux sur ton regard) Tu as trente ans, tu t’habilles de jaune pour paraître plus jeune et pour être mieux vu également de ceux qui cherchent le soleil en des endroits secrets où l’herbe piétinée est moins verte qu’ailleurs – et qui se laissent toucher les poings serrés. |
| Retours [extraits]
Tout commence ici par des bruits d’enfance remontant l’escalier pendant notre sommeil Ils reviennent au soir les poings bleuis à force d’avoir frappé la neige entre les yeux les chemins de l’école sont les plus beaux retours |
Un théâtre chinois que la nuit met en place les ombres de chevet s’affrontent sur le mur La main le loup deux doigts les fées l’index du chasseur tient en joue les menaces de la forêt Une voix parfume l’orée des chambres Maman nous met au lit Papa couche le soleil |
On ne perd rien Pas une miette Le souvenir haché menu dans les griffes du Chat Botté nourrit plusieurs tables d’années A force de persévérance si le bûcheron parvient enfin par la faim par le feu pour du pain ou par jeu à perdre sept fois l’enfance l’ogre aura quitté son château et rétamé les bottes fées |
Petit au jour le jour vivant dans l’entrevu dans l’éclair du passage d’un oiseau sur le ciel On marque de ses ongles les cuisses des géants espaliers du bonheur vers lequel tout grandit On arrose de larmes le haricot magique |
C’est à la promenade qu’on rencontre le vent les chênes les chevaux le cèpe et l’arc-en-ciel On flâne à la file indienne sur le sentier de la guerre Désinvoltes quelques oncles lancent des signaux de fumée Les mamans vont devant dans leur robe de bal |
Tout s’achève par des jeux les peluches ventriloques mélangent dans leur haleine la vanille du sommeil Il chuchote par les fenêtres qu’il ouvre la nuit » Ne dors pas ! « il se voile, tournoie, vole léger comme la boutique aux rêves Le jour se noie dans l’œil du marchand de sable |
Le prince s’appelle Aujourd’hui il solde ses armées de plomb La princesse prendra le train Rendez-vous ensemble à Paris On disait que tu étais Belle Cache-cache parmi les pages aux quatre choix aux quatre coins du domaine les mots se sont tus Potons pour savoir qui de nous – un deux trois – ne grandira pas |
| Une quarantaine [extraits]
Non pas en vie mais dans la vie attentif surtout à me perdre aux cinq horizons du présent J’écris pour tenir entrouverte la porte du poème entrevu Je vis un peu moins bien. Je pleure des plaisirs habillés de sens Le nez au vent, je tourne bride Que vaut ce néant qui frémit ? Vide à demi, moitié vivant, un peu plus homme que poète si près du bord je fais la bête Qui reste-t-il si je perds pied ? |
Passé l’âge d’ouvrir le ventre des abeilles qu’ai-je offert à mes mains sinon les étreintes faciles d’un plaisir divisible par les fractions blanches de la page ? |
Je me raconte ici mais encore à voix basses couvertes comme par un vacarme tacite Même si mes mensonges se mutinent parfois, leurs récits sentent l’air du large Unique maître à bord car j’ai fait prisonniers les négriers de la mémoire voleurs des lunes de mon enfance On croit que je prie : je blasphème À voix basses je maudis toutes les mères les promises les saintes les putains aventurières de l’odyssée, clandestines du vaisseau destin, filles aux milles bouches dont une seule me parla jamais. |
Parce que le jour me devance qu’enfin tout aura été dit je lèche sur mes doigts d’enfance rires bobos et noirs sureaux confitures de paradis |
Qui que tu sois Fille ou Garçon Passant Ami Voleur d’icônes je veux t’offrir cette chanson à jouer sur la corde raide de la guitare que tu sais Prends l’air et jette les paroles si elles te mentent Surtout j’aime tes lèvres autour de la musique Il y a longtemps que je danse charme repu d’amours arides funambule à la corde raide entre les mots de ces couplets dans la parade que tu sais |
Puis vient l’été le beau visage bleu je vais placer une chaise de feuilles devant ma porte verte et me livrer en toute impudeur en pâture aux paysages |
Ici du moins les choses vont de soi La belle demoiselle a les plus beaux atours Les rames de haricots débouchent sur le ciel Les géants et les chats vont bottés des légendes qui arpentent mes nuits Les borgnes – des méchants – dévorent les gentils, par contrariété La profondeur des douves comme des oubliettes fait craindre le seigneur d’un lieu si fantastique C’est ma contrée : entrez compagnons d’épopée La féerie va de soi : je vous adouberai d’un feu de coquelicots |
| Alexandre Kosta Palamas [extraits]
Alexandre Kosta Palamas, – c’était un soir de septembre à bord d’un ferry pour la Crète sur le pont-promenade à l’abri de l’embrun – m’incita d’allumer une autre cigarette. Le ciel en immolant l’océan par le feu frappait de cécité la côte chavirée quand j’appris de sa voix sourde et traînant un peu qu’il quittait pour la dernière fois le Pirée. L’espace pour fumer ses jours jusqu’à la cendre le rejetait vers l’île où lassés de l’attendre ses amis seraient morts sous le soleil étroit. Et comme il déroulait le film de ses errances d’Istanbul à Bangkok et de Tyr à Detroit les mots contre la nuit troublaient des transparences. |
Six cents kilomètres de côte accoudée aux balcons d’Afrique, d’Europe et d’Orient, trois miroirs réfléchissent le même corps. Silencieux assis dans la chambre des livres aux murs Marx et le Christ s’ignorent poliment – il tient sur ses genoux l’atlas dont les couleurs lui coulent un destin digne de son prénom. Il grimpe aux échelles des cartes (que reste-t-il à conquérir ? en marge des terres finies, combien d’intervalles encore ?) Dans la blanche Candie un garçon de dix ans embarque chaque jour sur tous les paquebots son île est un oiseau de pierre et son enfance une cage qu’il brisera contre des rêves. |
Je ne suis pas un amant la carte du Tendre m’est de toutes la plus extrême mes doigts sont gourds chaque fois qu’ils l’explorent en surface je suis affecté quand j’aime gauche sinistre et lointain plus qu’à mon tour j’ai rempli ma bouche de faux serments et mes valises de larmes. |
Roue immobile des départs d’est en ouest, jour après nuit, j’ai transporté vos paysages. Les archipels de la mémoire sans que j’aie à tourner la tête creusent votre ombre sous la mer. Je suis d’ailleurs. Qui ne l’est pas ? Le temps se fige sur mes lèvres et brûle tout ce que je tais. (J’avais quinze ans lorsque mon père, refusant de mourir à Chypre, fut exécuté dans Athènes, seize quand d’une fille en noir, je reçus un baiser d’adieu mouillé de promesses d’écrire.) Fuyant pour esquiver mes larmes dans les plis des fuseaux horaires je n’ai semé que des miroirs. Roue immobile des départs nous voici revenus au port et le soleil n’a pas vieilli. |
A Prague sur le pont de pierre un homme dont l’ombre boitait d’une voix comme familière me fit le boniment d’un lieu qu’il nommait immortalité. En me guidant par les ruelles frappant les pavés de sa canne jusqu’au quartier des alchimistes il serrait ma main dans la sienne et son étreinte était glacée. La brume accablait ma jeunesse l’alcool d’airelle ma raison. Si j’avais pu voir son sourire j’aurais compris pourquoi mentait cet homme qui me ressemblait La bouche à mon oreille, il parle de mille ports d’autant de femmes qu’il traverse avec le soleil depuis que sa vie est sans bornes et ses yeux un éclat de ciel. A la lueur d’un réverbère le silence nous sépara. La lune attendait ma réponse et je signai d’une encre bleue un pacte avec la solitude. |
W. Johnson venait d’un pays dont les lois condamnent l’amour des garçons Sur son torse blond étaient tatoués des mots enlacés depuis trop longtemps – J’en ai bu des potions de larmes de sirènes extraites d’alambics aussi noirs que l’enfer – Nu dans son hamac et les joues en feu, il lisait des vers d’un autre William feignant le sommeil, nous l’écoutions dire un trouble inconnu plus lourd que la mer – C’est pour toi que je veille. Ailleurs tu ne dors pas hélas si loin de moi Beaucoup trop près des autres – W. Johnson, voyageur sans soif, ne rougira plus devant aucun livre : il est mort ce soir des coups de rasoir du matelot ivre qu’il voulait aimer. |
Quelque part un oiseau porte mon nom j’ignore combien il peut couvrir d’espace jusqu’aux terres du sud qu’il cherche à rallier quand les hivers l’entourent. Migre-t-il et si c’était moi qu’il tente de rejoindre ? Si parfois déviés de nos itinéraires, nous glissons dans les mêmes courants, son ombre sur la mer mes pas dans les chemins nous servent de boussole. Je connaîtrais son cœur si je savais le mien. |
| Force d’inertie [extraits]
Ça ne vaut pas la peine que je m’use sur l’oeil profond de l’amateur de riens pour ceux que j’aime à poser des écluses le temps défait à peu près tous les liens l’air est vicié de mots et quelle muse mêlerait son fantôme avec le mien je me vois dans les regards qui m’accusent sous chaque pas une ombre se souvient de la parole, de l’arbre, du soir Ils sont debout au milieu de ma vie mais dans quel désordre avec quel espoir je ne veux plus comparaître ni plaire Toute soif bue au goulot de l’envie si je reprends goût c’est à la colère. |
A présent, mes amis que je vis dans les arbres plus de bruit, plus de pleurs Aux feuilles et aux branches je m’exhibe sincère à vous rendre jaloux vous qui me reprochiez ma trop grande pudeur il m’arrive souvent de resonger à nous lorsque enfants nous lisions d’Italo Calvino il barone rampante, et rêvions de bâtir, caché par la forêt de la bêtise humaine, un bungalow où tout serait presque parfait où vivre irait de soi sans lutte ni fatigue deux chambres pour l’amour une pour l’amitié Quand enfin viendrez-vous dans mon vert paradis ? Chaque jour je vous lance une échelle de corde que je ramène au soir couverte d’escargots. |
à Carl Norac J’emporte en voyage deux montres l’une marque l’heure de mon départ l’autre semble indiquer celle de mon retour Vous le savez mieux que moi : Les belles étrangères si accueillantes aux étrangers sont rarement ponctuelles en amour C’est pourquoi j’ignore toujours laquelle de mes montres retarde et pour qui mes fuseaux horaires se déhanchent ainsi que sur des airs de danse. |
Ces quelques gestes quotidiens ces allers jumeaux des retours ces paroles qui n’échangent rien cet emploi du temps inutile (l’ombre est si forte par ici et le vacarme assourdissant que nous ne pourrions même plus distinguer le chant des esclaves des couleurs mates de leur peau) ai-je le droit de proclamer qu’ils donnent du sens à ma vie Ai-je le droit de me corrompre au point de dire à haute voix qu’ils donnent un sens à ma vie ? |
à Jacques Izoard Maison Poésie On procède ici à l’arrestation des ombres Je n’ai dénoncé personne Les jours se sont ouverts sans que j’y prenne garde et répandus sur les bouches du monde comme un poison. Le monde est un trou dans ma tête. Je peux y passer tout un bras puis ramener des images, des mots. La rafle s’est faite On ne proteste guère Pour l’indignation les phrases sont usées et les ombres après tout ne sont pas toute blanches. Arrêt poésie On lève le pied On écrase. |
Ohé du rigoloir entendez-vous nos plaintes ? nous sommes quelques-uns à grincer dans la nuit heimatlos clandestins de la Grande Beauté nous sommes les gisants du placard à côté Notre agonie est lente et l’appétence dure aussi longtemps que l’oeil est debout dans le corps (un ange à pile ou face a conquis sa catin, il retire ses ailes avecque sa chemise et s’offre du plaisir pour quatre fois sa mise) Silences en surface et remous par le fond. |
Eté J’ai l’un ou l’autre encore mots à tracer puis je raccroche Mon pauvre ami mon corps prends le temps qu’il te faut ne me fais pas reproche du trop peu de plaisir que je t’aurai donné quand je suivrai enfin la lente putain moche ma mort jusque dans des fourrés sweet side où l’on peut, paraît-il, faire – et à bas tarif – l’amour avec sa propre soif. |
| Ciseaux carrés [extraits]
Il s’endort le plus souvent sur le même côté. En chien de fusil, les jambes en équerre et les lèvres serrées pour empêcher que ses cris ne l’éveillent. Auprès d’une femme, c’est différent : il repose tourné vers elle de manière à rester en position de mordre si la menace se précise. De toute façon, au matin, elles ne se souviennent jamais. |
Il s’aperçoit en se regardant dans la foule qu’insidieusement il est devenu si conforme et si lisse que chacun pourrait se reconnaître en lui et proférer de sa voix les paroles unanimes. Son cœur son crâne sa peau son sexe ont en commun l’universel. Quand la solitude lui pèse, il se caresse avec altruisme. |
Il croit ce souvenir à lui parce qu’elle l’a placé de force dans l’espace de sa mémoire. Son interminable naissance fait hurler de douleur les moteurs de son ventre. Le corps écartelé, béant comme une gorge ouverte, elle réclame qu’on le soumette au supplice des ciseaux carrés, forceps lui harponnant la tête pour l’expulser vers un couloir hostile. Plus tard, elle mourra. Et de cela non plus, elle n’aura pas décidé. |
Il lui arrive encore de s’émouvoir mais avec de moindres séquelles. A la fin, il parvient à donner à son trouble une forme pyramidale aux pentes agacées culminant dans l’indifférence. Les mondes qu’il craignait tiennent leurs portes closes. Peut-être, s’il persévère, se rendra-t-il maître de leurs serrures. |
Il gèle depuis le jour où les voisins ont empoisonné la chaudière. On ne se méfie pas assez des arrière-cours de la bonté. Le sang qui coule en lui s’étrangle au moindre geste, n’irrigue déjà plus que ses jambes et le coupe de toute pensée. Demain, s’il reprend quelque force, il retiendra son souffle en guettant leur retour et fera sauter l’ascenseur. |
Il habite une rue où s’égarent des monstres. Et quand sa fenêtre est ouverte, des miasmes de marécage s’insinuent jusqu’à lui. Les efforts d’extermination entrepris par les commerçants ont fait long feu. Les monstres les mieux oculés repèrent d’où qu’elles surgissent les automobiles faucheuses. Leurs têtes ne sont plus mises à prix : elles repoussaient plus repoussantes et barbelées de crocs puissants. Depuis que les autorités ont cessé le combat, la cohabitation s’impose. Les loyers ont baissé et les gens du quartier, qui restent enfermés chez eux, ont plus de temps à consacrer à leur chère famille. |
Il a beau y réfléchir. Il n’arrive pas à isoler un événement qui permette d’expliquer son actuel rapport aux choses. Quand elles ne tombent pas tout bonnement de ses mains, elles se jettent à son visage pour le griffer ou l’humilier. Envoûtement, chuchote une voix. Sa Weltanschauung cartésienne le protège de telles interprétations. Il prend le parti de se passer des choses, en attendant des jours meilleurs, et y gagne en liberté. |
| Dés d’enfance [extraits]
Mon père, chaque soir aux alentours de 22 heures commençait à battre le rappel de nos animaux domestiques – chats, chiens, tortues et musaraigne – (le hérisson Jonas en raison du caractère strictement nocturne de ses activités bénéficiait de la permission de minuit). Si l’un d’entre eux venait à manquer, papa n’hésitait pas et passait une partie de la nuit sur le seuil puis le long des trottoirs, scandant le nom du déserteur. Bien que leur religion enseignât d’aimer son prochain, certains de nos voisins refusaient d’admettre qu’on puisse aimer les bêtes comme mon père les aimait, c’est-à-dire en cherchant à les préserver des terribles fatalités liées à leur mode de vie. Chevalier mal armé pour combattre à la fois et avec succès les boulettes de strychnine, les rumeurs de rage, les phares de voitures et les balles perdues, père avançait dans la nuit, avec pour épée sa belle voix grave et ses yeux aux aguets pour bouclier. Alors des lumières se rallumaient, des fenêtres s’entrebâillaient, et peu à peu la rue ne résonnait plus seulement des injonctions paternelles, mais de tout un chœur de noms d’oiseaux. |
Le geste est resté le même. Je l’ai photographié il n’y a pas si longtemps. La paume de la main droite ouverte, vigilante, à l’affût, à quelques centimètres entre l’épaule et la nuque de l’enfant, offerte comme pour prévenir une possible chute, l’autre main posée ici ou là avec une feinte négligence, mais tout autant prête à l’intervention qui sauve, en cas de danger. Et je m’entends lui dire : Maman, je ne vais pas tomber. Je peux m’asseoir seul. Je me tiens bien. Laisse-moi. Ou je m’entends vouloir le lui dire. Je n’en suis pas trop sûr. Le geste maternel protège des forces du mal. Et la main garde-fou, excusée d’un sourire, se retire sans s’éloigner tout à fait, en suspens, comme en hésitation entre devoir et désobéissance, – main d’Antigone, qui brave mais chérit toute créature de son sang, d’accord de se laisser emmurer vive pour la juste cause. Aller-retour. Contact imperceptible. Comme pour m’épargner une possible chute. Trop de gestes comme celui-là m’auront empêché de grandir. |
J’avais sept ans. La lune était américaine. ça bougeait, j’allais à l’école deux fois par jour. Maman faisait en sorte qu’à midi nous déjeunions tous ensemble. Papa restait à la maison. Le soir, je grimpe sur les genoux de ma sœur pour lire à quatre-z-yeux un roman de la bibliothèque verte. Je ne comprends pas tout : je la regarde, elle a de longs cheveux qui la gênent pour tourner les pages. Un homme fait des bonds sur l’écran qui scintille. Tintin au cinéma, l’instituteur, une vedette déchue qui quémande l’approbation d’un public de moutards, voudrait me forcer à apprendre à nager : je me noie. Un petit pas pour l’homme. Nous avions encore cette vieille chatte blanche qui lézardait volontiers au soleil. Cet été-là, un fox-terrier du voisinage la surprend endormie et l’éventre. Il dévore sous mes yeux la portée morbide, tumeur, qui lui enfle les flancs et l’empêche de fuir. Le meilleur ami de l’homme est forcément à son image : je ne veux pas aimer les chiens. Le nez à la vitre, l’œil rivé aux nuages jusqu’à l’aveuglement, j’attends une neige annoncée. Je suis l’unique témoin du lâcher du premier flocon. J’ai sept ans. Mon idée du bonheur est encore imprécise et je suis heureux par défaut. Noir et blanc. On a marché sur la lune. |
Mon père avait du gaz une sainte frayeur, et pour nous prévenir des dangers combustibles, il mimait l’asphyxie avec un tel brio qu’il en devenait bleu à nous ficher la trouille. Nulle fuite jamais ne troubla ces années ; nous respirions la joie bien plus que le propane. Mais c’est d’ailleurs que vint l’alerte domestique qui mettrait en péril nos jeunes existences. Nos voisins mitoyens changèrent leur tapis et toute une journée des engins électriques sucèrent tant de volts de watts et puis d’ampères que ça foutit le feu au milieu de la nuit. Ce fut à dire vrai un médiocre incendie. Si je vis des lueurs dans les yeux de maman, inédites pour moi, j’observai peu de flammes et crus le lendemain que j’avais tout rêvé. Je garde de ce drame un goût de pas assez ; rien ne se produisit de bien spectaculaire, et madame Tapon nous mit dormir chez elle, à l’aube quand tout fut à peu près maîtrisé. Papa me fit ce mot pour l’école : Mon fils n’a pas mémorisé les fleuves de Belgique car nous avons passé la nuit sur le trottoir tremblant pour peu de biens que les pompiers sauvèrent. |
Je suis né dans l’après-midi. Par ma naissance à quinze heures cinquante, je bousculai sans égard un immuable rituel de la tradition maternelle : le Café de Seize Heures. Auquel maman dut renoncer pour être engouffrée dans un taxi en trombe vers la maternité. Dès qu’elle fut délivrée et qu’on m’eut mis au sein, ce fut là son premier souhait, noir et serré comme la nuit, que je crois me souvenir avoir bu avec elle. Je suis né en juillet sous l’œil indifférent de la constellation dont le totem à reculons terrasserait mon père quelques années plus tard. C’est sous ce signe d’eau que je devais apprendre à rester en surface. |
J’ai eu une enfance pluvieuse dans une ville d’eau. Elle se reconnaîtra. C’est une ville de vieux ; on n’y naît d’ailleurs plus : il faut se transporter bien loin pour ce genre de soins. Entre le bain du soir et la douche matinale, on y prend les eaux, puis on joue prudemment à des jeux de hasard au casino voisin. Et l’on se couche content, parfois un peu gris, parfois mort. De notre cimetière, la vue est panoramique. D’où je suis, les rhumatismes vous prennent dès l’adolescence et ne vous lâchent plus. Bottes et parapluies nous vont comme aux îliens les colliers de corail. Ils complètent notre tenue aussi naturellement que s’ils étaient (et peut-être bien le sont-ils) d’inôtables excroissances. Les études hygrométriques l’ont amplement vérifié : il pleut en moyenne dans ma ville natale plus que nulle part ailleurs. N’en déplaise à Nougaro, la pluie n’y fait pas des claquettes, elle danse la bourrée, sans pouvoir s’arrêter, telle une forte paysanne ivre de bière et d’ennui. Il pleut tant et si dru que le sol saturé refuse de boire encore. Alors, l’eau se répand en larges flaques par dessus lesquelles plus personne n’a le coeur de sauter. Debout les enfants. C’est le jour, nous affirmait maman, les cheveux démêlés par les doigts du sommeil. La menteuse n’était pas crue : on ne partirait pas encore par ce temps-là à la chasse au trésor. La peine de se réveiller. Trois-quart des saisons, les nuages sont si sombres qu’on prendrait bien le peu de lumière entrevue pour un prochain crépuscule. |
Grand-père mesurait des crânes. Au grand déplaisir de ma mère dont les trop rares séjours à sa maison natale ranimaient la jeunesse, au point de nous la rendre presque adolescente à la fin de l’été, le vieillard nous poursuivait de pièce en pièce, le mètre à ruban à la main. Opa haïssait les Anglais mais jugeait les Belges et la Belgique avec plus d’indulgence grâce en particulier « au comportement amical et réfléchi de votre pauvre Léopold ». Ma mère nous racontait qu’il crut en la victoire du Reich jusqu’aux toutes dernières heures de la débâcle, et qu’il incitait les siens, quand il savait pourtant que tout était perdu, à partir creuser des tranchées pour repousser l’avancée de l’armée française. Qu’il ne soit pas question ici d’idéologie – il prétendait n’en prôner aucune, ni de gauche ni de droite. Grand-père était un scientifique de l’école allemande, rationaliste pur, jusqu’au-boutiste en tout ce qu’il entreprenait. Et son nationalisme exacerbé figurait en bonne place parmi divers dadas dont la mycologie, l’apiculture, l’encéphalométrie et l’histoire locale. J’étais rien moins qu’un bon Aryen. J’avais un léger ralentissement de croissance, des retards de parole aussi, et malgré mes efforts, la langue de Heidegger m’irritait le gosier. Opa ne m’en tint pas rigueur. Il avait dit un jour à maman qu’il me trouvait reposant, ce qui était dans sa bouche un compliment. Il me prenait sur ses genoux et me racontait ses projets pour les cent prochaines saisons. – Malheureusement, je dois encore mourir, ajoutait-il en soupirant. Il expirait vers moi comme pour m’insuffler l’esprit de la relève. Je pensais qu’il bluffait un peu et qu’il avait encore bien des années devant lui. Et c’est à tout ce temps qui soudain lui manquait que j’ai pensé très fort, le jour où pleine de larmes, muette au téléphone, maman laissa entrer la mort. |
| J’arme l’oeil [extraits]
On marche On vole parfois des mots au paysage On tournoie dans le vent On prononce pierre et on la lance On épelle fleur et on la cueille. On murmure source pour boire. On pense que c’est là la vraie vie. dans laquelle tout se réinvente Et peut-être n’est-ce même pas une pensée solide mais la voix énervée d’un rêve qui revient. |
Reprendre tes images les déplacer un peu les mélanger aussi caresser de mes mots la peau des paysages Lire sur la frontière les couleurs que tu couches le lit d’une rivière la lumière d’un ciel le baiser d’une bouche Voir l’ombre de la flamme dans tes feux d’artifice dire l’arbre hippocampe qui nage dans tes encres écrire l’impossible palimpseste de l’œil. |
L’hiver ne me vaut rien. Je palpe des fantômes. Je baisse les volets pour ne pas voir qu’il neige mais la neige me voit et me perçoit peut-être comme un frère éphémère froid, lâche et mou qui tombe aussi bas que possible d’un ciel qui l’a trahi. Il faudrait qu’on se parle que j’ouvre ma fenêtre et boive son baiser. |
Ephémère joggeur dénudé dans les dunes tu surgis on dirait que tu sors du soleil que tu t’ouvres une route sur Terre parmi nous tu t’arrêtes tu baignes dans ta transpiration et tu ne nous vois pas puis tu reprends ta course auréolé des feux de ta courte beauté la lumière t’avale et recrache ton ombre un point qui clôt la plage l’horizon te va bien. |
Les années n’y font rien Nous sommes les enfants de nos paysages de leurs heures d’ennui fertile Nous tournons lentement les pages d’un livre qui salit les doigts et rembobine les décors jamais les gestes ni les choix Nous avançons avec des moues de ciels de pluie et d’hivers pâles dans notre lecture assommante du livre qui mange nos jours. |
Il aura appris seul sans livres ni école à converser avec le monde Maintenant qu’il vole avec les ailes fragiles de ses propres certitudes la pudeur n’est plus sa compagne la nudité lui convient et la peau de son coeur respire. |
C’est un fil invisible qui me relie à toi Quand je tombe je t’entraîne Quand je tourne en rond nous nous emmêlons Et quand ma langue se délie il se dénoue et tu t’en vas. |
| Le Séismographe [extraits]
Un passant rêvait qu’il était le chemin, l’arbre son ombre, le gravier sa chaussure et le vent une âme cousue à sa taille. Il se disait satisfait du monde. Plus le miroir est beau, mieux il reflète, mieux il flatte. Et les beaux jours, parfums mémoire fleurs demain plaisir été, lui semblaient des jardins suspendus à ses yeux. Qu’il ne fermait jamais (le chemin ne dort pas). Le carrefour se prenait pour un dieu très juste, reconnaissant le bien du mal, le pour du contre, transparent chaque fois qu’un bras le traversait. Quand l’homme au carrefour demanda quel chemin devait le prolonger, il lui fut répondu que des travaux en cours l’obligeaient à mourir. |
Depuis plusieurs semaines, j’avais un peu mal au cœur et je grossissais. Mes cheveux et mes poils tombaient, remplacés par un mince duvet blond. Ma vue baissait de jour en jour et mes yeux se faisaient tout petit. Ma peau, elle, devenait très belle, tendre d’un rouge pâle appétissant. Le médecin qui me visita ne lâcha pas sa contrebasse. Il me trouva bonne mine et m’apprit que j’avais la maladie des mangeurs de pêches. Il m’expliqua en riant que je portais en moi un pêcher originel. Je lui dis n’être pas croyant ; lui non plus mais il avait un oncle abbé. Comme il fallait à tout prix me dépêcher, il me prescrivit l’eau salée et la viande de cheval. Lorsque je m’enquis de ses honoraires, il me dévisagea joyeusement, pris dans un tiroir un couteau de cuivre étincelant, me coupa une oreille et la goûta avec délices. |
J’écris des poèmes nains. Mes poèmes mélangent sous le manteau de l’ange le miel et le venin J’écris des poèmes faits main. Mes poèmes étranges troublent parfois dérangent l’ordre d’hier avec demain. J’écris des poèmes en forme d’orange et votre bouche qui les mange c’est encore moi qui la peins. |
Je comptais l’appeler « Portrait du dieu chinois qui nage d’une main et de l’autre se noie. » Maître, donnez de grâce un indice aux critiques. Votre art fulguratif figure-t-il l’abstrait ? Mon œuvre est une pieuvre tentacule acculant tes yeux qui croient la prendre aux impasses de l’encre. Vous peignez la lumière mais vous nous parlez d’ombre. Or point de feu sans flamme point d’âme sans la foi. Mon titre vous égare. Je compte l’appeler « Manchot se recoiffant devant un aquarium. » |
Je ne suis pas curieux et pourtant, j’aime les réponses. Ainsi, l’homme qui vit au quinzième de mon immeuble porte un bandeau noir sur l’œil gauche. Jamais je n’aurais cherché le pourquoi du bandeau, si justement hier il n’avait masqué l’œil droit. La question me vint à l’esprit et je la posai. « Nous prenons depuis des mois l’ascenseur ensemble. Quel mérite d’avoir si longtemps patienté pour me demander cela. Je ne veux pas vous répondre aujourd’hui. Attendez demain. » Ce matin, le bandeau noir avait repris sa place, sur l’œil gauche, et je ne me sentais pas l’envie de reposer ma question. |
J’ai connu des femmes douces comme le vent sur les blés aimables de dix à douze en de modestes meublés. Elles disaient une rose pour n’importe quelle fleur mais leurs lèvres restaient closes sur le nom de la douleur. |
Je vous parle, dit-il en connaissance de roses. Fleurir est une chose faner en est une autre . Ce qui demande à l’homme bien plus que du talent ce n’est ni naître ou vivre c’est cultiver la mort. Elle ne sollicite de faveur de personne tous les sols se ressemblent et n’engraissent que ruines. Il caresse en parlant sa barbe de vieillard sûr qu’il est d’être enfin passé maître dans l’art de n’avoir pas vécu. |