Chaque escalier de Liège a son double quelque part. Jacques Izoard Tu te sens à l’abri de la mort quand tu marches quand tu gravis les trois cents septante quatre marches qui te mènent de la rue Hors-Château à la rue du Péri le cœur bien accroché dans cette certitude que tu vas jusqu’au bout de ce que tu connais Et marcher te va bien et tu fais lentement l’inventaire des possibles et des bonheurs plausibles dont tu as tant besoin Tu gravis les degrés un à un Tu t’appliques Tu ne t’essouffles pas bien vite Tu es content Ta course est un peu vaine Comme l’est cette escalade et comme l’est souvent ton quotidien parfois vide de sens mais l’étranger qui marche en toi te tient la main t’encourage à poursuivre Certains soirs quand tes rêves sont ivres il leur arrive d’enfoncer des portes ouvertes Alors ils te forcent à sortir de toi à quitter le lit de tes livres à entrer tout entier dans la mémoire de tes paysages secrets Ces nuits-là tu te relèves tu te vêts tu t’élèves tu prends tes jambes à ton cul et tu prends d’assaut l’imposante Montagne dite de Bueren « chère au cœur des Liégeois » disent les prospectus Les touristes parfois à propos de ce lieu ont d’étranges attentes et parlent d’aller voir l’escalier de Buren Bien sûr – et c’est le lot de l’approximation – ils repartent déçus de n’y avoir trouvé les bandes noires et blanches aux mêmes intervalles caractéristiques du travail de l’artiste français […]s Montagne de Bueren, un matin de septembre tu te souviens d’avoir été ce lent grimpeur combien de fois déjà dans l’ombre ou la lumière seul ou accompagné du fantôme d’un poète qui boite et te parle de Liège en rêve et en ivresse Mis bout à bout tous les escaliers de Liège conduiraient à la lune ou au centre de la terre L’entrée des escaliers souterrains se trouve au pied des remparts d’Hocheporte Porte secrète dissimulée sous les fleurs Il est encore là et te parle à l’oreille de sa voix précise, sinueuse et insinuante interrogeant ta vie et ses envies muettes cette vie aujourd’hui à l’image de quoi ? de quel piètre gâchis ? Tu t’es trompé Tu as trompé Tu t’es trahi Tu as trahi Tu as plongé et nagé en eaux troubles Tu as élevé le mensonge en principe vital et tu es encore là Tu as abandonné On t’a abandonné Tout le monde te manque Où dorment tes amis ? Tu ne peux même pas rêver que tu arrives en sueur et content et que quelqu’un t’accueille bras et visage ouverts une femme un enfant un ami ou un chien Tu vas seul c’est ton choix Montagne de Bueren avec ses habitants que l’on ne voit jamais apparaître à leurs portes dont tu aimes sourire en les imaginant à bout de souffle et traînant des cabas biscornus Pourtant il n’y a jamais personne sur les seuils Ces maisons seraient-elles toutes inhabitées parmi leurs beaux jardins ? Parfois tu te surprends à penser que toi aussi un jour tu rêveras à nouveau de jardins Tu gravis gravement L’ascension est un lieu cher à l’alexandrin le rythme de ta marche dit qu’il sait où il va Le soleil est certain de son itinéraire Et tes mots le disent en chœur Que le cœur de la ville batte ! N’empêche que tous les dimanches si le pouls de Liège s’entend c’est dans les veines de la Batte […]] |