| Le Séismographe [extraits]


Un passant rêvait qu’il était le chemin, l’arbre son ombre, le gravier sa chaussure et le vent une âme cousue à sa taille. Il se disait satisfait du monde. Plus le miroir est beau, mieux il reflète, mieux il flatte. Et les beaux jours, parfums mémoire fleurs demain plaisir été, lui semblaient des jardins suspendus à ses yeux. Qu’il ne fermait jamais (le chemin ne dort pas). Le carrefour se prenait pour un dieu très juste, reconnaissant le bien du mal, le pour du contre, transparent chaque fois qu’un bras le traversait. Quand l’homme au carrefour demanda quel chemin devait le prolonger, il lui fut répondu que des travaux en cours l’obligeaient à mourir.

Depuis plusieurs semaines, j’avais un peu mal au cœur et je grossissais. Mes cheveux et mes poils tombaient, remplacés par un mince duvet blond. Ma vue baissait de jour en jour et mes yeux se faisaient tout petit. Ma peau, elle, devenait très belle, tendre d’un rouge pâle appétissant. Le médecin qui me visita ne lâcha pas sa contrebasse. Il me trouva bonne mine et m’apprit que j’avais la maladie des mangeurs de pêches. Il m’expliqua en riant que je portais en moi un pêcher originel. Je lui dis n’être pas croyant ; lui non plus mais il avait un oncle abbé. Comme il fallait à tout prix me dépêcher, il me prescrivit l’eau salée et la viande de cheval. Lorsque je m’enquis de ses honoraires, il me dévisagea joyeusement, pris dans un tiroir un couteau de cuivre étincelant, me coupa une oreille et la goûta avec délices.

J’écris des poèmes nains.
Mes poèmes mélangent
sous le manteau de l’ange
le miel et le venin
J’écris des poèmes faits main.
Mes poèmes étranges
troublent parfois dérangent
l’ordre d’hier avec demain.
J’écris des poèmes en forme d’orange
et votre bouche qui les mange
c’est encore moi qui la peins.



Je comptais l’appeler
« Portrait du dieu chinois
qui nage d’une main
et de l’autre se noie. »
Maître, donnez de grâce
un indice aux critiques.
Votre art fulguratif
figure-t-il l’abstrait ?
Mon œuvre est une pieuvre
tentacule acculant
tes yeux qui croient la prendre
aux impasses de l’encre.
Vous peignez la lumière
mais vous nous parlez d’ombre.
Or point de feu sans flamme
point d’âme sans la foi.
Mon titre vous égare.
Je compte l’appeler
« Manchot se recoiffant
devant un aquarium. »

Je ne suis pas curieux et pourtant, j’aime les réponses.
Ainsi, l’homme qui vit au quinzième de mon immeuble porte un bandeau noir sur l’œil gauche.
Jamais je n’aurais cherché le pourquoi du bandeau, si justement hier il n’avait masqué l’œil droit. La question me vint à l’esprit et je la posai.
« Nous prenons depuis des mois l’ascenseur ensemble. Quel mérite d’avoir si longtemps patienté pour me demander cela. Je ne veux pas vous répondre aujourd’hui. Attendez demain. »
Ce matin, le bandeau noir avait repris sa place, sur l’œil gauche, et je ne me sentais pas l’envie de reposer ma question.


J’ai connu des femmes douces
comme le vent sur les blés
aimables de dix à douze
en de modestes meublés.
Elles disaient une rose
pour n’importe quelle fleur
mais leurs lèvres restaient closes
sur le nom de la douleur.

Je vous parle, dit-il
en connaissance de roses.
Fleurir est une chose
faner en est une autre .
Ce qui demande à l’homme
bien plus que du talent
ce n’est ni naître ou vivre
c’est cultiver la mort.
Elle ne sollicite
de faveur de personne
tous les sols se ressemblent
et n’engraissent que ruines.
Il caresse en parlant
sa barbe de vieillard
sûr qu’il est d’être enfin
passé maître dans l’art
de n’avoir pas vécu.





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