Alexandre Kosta Palamas, – c’était un soir de septembre à bord d’un ferry pour la Crète sur le pont-promenade à l’abri de l’embrun – m’incita d’allumer une autre cigarette. Le ciel en immolant l’océan par le feu frappait de cécité la côte chavirée quand j’appris de sa voix sourde et traînant un peu qu’il quittait pour la dernière fois le Pirée. L’espace pour fumer ses jours jusqu’à la cendre le rejetait vers l’île où lassés de l’attendre ses amis seraient morts sous le soleil étroit. Et comme il déroulait le film de ses errances d’Istanbul à Bangkok et de Tyr à Detroit les mots contre la nuit troublaient des transparences. |
Six cents kilomètres de côte accoudée aux balcons d’Afrique, d’Europe et d’Orient, trois miroirs réfléchissent le même corps. Silencieux assis dans la chambre des livres aux murs Marx et le Christ s’ignorent poliment – il tient sur ses genoux l’atlas dont les couleurs lui coulent un destin digne de son prénom. Il grimpe aux échelles des cartes (que reste-t-il à conquérir ? en marge des terres finies, combien d’intervalles encore ?) Dans la blanche Candie un garçon de dix ans embarque chaque jour sur tous les paquebots son île est un oiseau de pierre et son enfance une cage qu’il brisera contre des rêves. |
Je ne suis pas un amant la carte du Tendre m’est de toutes la plus extrême mes doigts sont gourds chaque fois qu’ils l’explorent en surface je suis affecté quand j’aime gauche sinistre et lointain plus qu’à mon tour j’ai rempli ma bouche de faux serments et mes valises de larmes. |
Roue immobile des départs d’est en ouest, jour après nuit, j’ai transporté vos paysages. Les archipels de la mémoire sans que j’aie à tourner la tête creusent votre ombre sous la mer. Je suis d’ailleurs. Qui ne l’est pas ? Le temps se fige sur mes lèvres et brûle tout ce que je tais. (J’avais quinze ans lorsque mon père, refusant de mourir à Chypre, fut exécuté dans Athènes, seize quand d’une fille en noir, je reçus un baiser d’adieu mouillé de promesses d’écrire.) Fuyant pour esquiver mes larmes dans les plis des fuseaux horaires je n’ai semé que des miroirs. Roue immobile des départs nous voici revenus au port et le soleil n’a pas vieilli. |
A Prague sur le pont de pierre un homme dont l’ombre boitait d’une voix comme familière me fit le boniment d’un lieu qu’il nommait immortalité. En me guidant par les ruelles frappant les pavés de sa canne jusqu’au quartier des alchimistes il serrait ma main dans la sienne et son étreinte était glacée. La brume accablait ma jeunesse l’alcool d’airelle ma raison. Si j’avais pu voir son sourire j’aurais compris pourquoi mentait cet homme qui me ressemblait La bouche à mon oreille, il parle de mille ports d’autant de femmes qu’il traverse avec le soleil depuis que sa vie est sans bornes et ses yeux un éclat de ciel. A la lueur d’un réverbère le silence nous sépara. La lune attendait ma réponse et je signai d’une encre bleue un pacte avec la solitude. |
W. Johnson venait d’un pays dont les lois condamnent l’amour des garçons Sur son torse blond étaient tatoués des mots enlacés depuis trop longtemps – J’en ai bu des potions de larmes de sirènes extraites d’alambics aussi noirs que l’enfer – Nu dans son hamac et les joues en feu, il lisait des vers d’un autre William feignant le sommeil, nous l’écoutions dire un trouble inconnu plus lourd que la mer – C’est pour toi que je veille. Ailleurs tu ne dors pas hélas si loin de moi Beaucoup trop près des autres – W. Johnson, voyageur sans soif, ne rougira plus devant aucun livre : il est mort ce soir des coups de rasoir du matelot ivre qu’il voulait aimer. |
Quelque part un oiseau porte mon nom j’ignore combien il peut couvrir d’espace jusqu’aux terres du sud qu’il cherche à rallier quand les hivers l’entourent. Migre-t-il et si c’était moi qu’il tente de rejoindre ? Si parfois déviés de nos itinéraires, nous glissons dans les mêmes courants, son ombre sur la mer mes pas dans les chemins nous servent de boussole. Je connaîtrais son cœur si je savais le mien. |