| Tout est loin [2022]

Tout est loin, polaroids de Laurent Danloy, L’Herbe qui tremble, collection D’autre part, 2021, 124 pages.

Avec une simplicité d’apparence, Karel Logist sait comment dessiner les contours du trouble en nous rapprochant par le poème des paysages humains. [..] Chaud-froid, froid-chaud, si la poésie de Karel Logist brûle, c’est pour tisonner sans consumer les cœurs qui traversent le temps. Même la mort annoncée, les morsures de l’amour déçu, l’irrécupérable jeunesse ne tuent pas l’insolence du sourire : « Je veux m’approcher du mystère/les poches pleines de sourires/Six pieds sous terre mais toujours/curieux des promeneurs qui passent (…) Je veux la paix Pas le silence. » Alors, page après page, il trouve comment l’ouvrir, ce silence, en modelant octosyllabes, alexandrins, vers et prose, avec cette voix qui dit sans drame la tragicomédie de l’être. [..] Il y a, entre le poème et le poète, un compagnonnage sans filoutage, un voyeurisme heureux. Le langage jouit de se toucher lui-même, écrit Barthes et peut-être peut-on, de près ou de loin, envisager la poésie de Karel Logist comme un écho sensible des Fragments d’un discours amoureux – au sens où les mots possèdent ici une peau que l’œil forme et caresse, au sens où l’échange semble ininterrompu. Il arrive d’ailleurs qu’ils mutent pour se mettre au service de cette rencontre. Au fil des territoires intimes, marins, familiers, les foudroiements n’empêchent pas le poète d’emporter, sur [s]es épaules de papier, le fantôme de l’insouciance. Ni nombriliste, ni dupe, ni acerbe (ses colères n’ont pas de poings), Karel Logist funambule en toute élégance au-dessus des abîmes de la mélancolie qu’il apprivoise comme il se laisse apprivoiser, lui-même, par les signes et les vivants. Attentif aux natures vives, le poète reste fidèle à l’humilité et à la fantaisie, même si tout ce qui est proche s’éloigne, même quand un ami malade quitte l’avenir. [..] Il est heureux qu’ici, la vision demeure un état puissant – amoureux. Selon un mouvement qui travaille la distance dans la mise au point, le vague, le diffus sont les justes partenaires, enrobants, des points de vue. Avec la sorcellerie comme ancienne pratique et l’appétit des fantômes comme remède à l’absence, avec le sens profond de la contemplation surtout, toute l’alchimie karellogistienne est soutenue dans ce recueil par les polaroids micro/macro, sucrés/salés de Laurent Danloy. Maud Joiret, Le Carnet et les instants, 9 mai 2022.

Le poète, en quatre recueils de textes, « habite à reculons/ des souvenirs ténus » mais que la matière poétique nourrit de métaphores glacées ou vives dans la solitude, dans la quête, dans ce besoin des autres qui tourne à l’obsession, dans l’errance manifeste, car tout est malentendu, mal éprouvé, mal ressenti : c’est fou comme on se goure aurait dit l’existentialiste hardi. « Une tristesse est mon jardin » serine-t-il joliment, lui qui traverse Liège et les peaux anciennes, et les baisers oubliés ou dont on ne fut pas repu. Dans l’ordre du chagrin, le poète toutefois sait nommer le « parfum au carrefour » ou « un peu de la beauté du monde » ; il sait s’épancher sans pathos ni roucoulade mais avec l’effroi ressenti d’un mélancolique profond qui sait mesurer à l’aune de sa détresse le voyage accompli, décevant ou perdu. De ce portrait ombré, le lecteur conservera la hauteur du style, celle du regard moral, cette éthique de la perte assumée. Un beau livre. Philippe Leuckx, Le Journal des poètes, 2022.

Revoici Karel Logist, et avec lui c’est décidément toujours le printemps. Si ses nouveaux textes sont imprégnés d’une sourde mélancolie, s’il est ici souvent question de l’absence (« Je me tue à t’étouffer / sous l’oreiller du silence / En ne disant plus ton nom »), de la monotonie, du sentiment de vieillissement ou de la solitude (« Chaque homme élit son île / où mourir ne fera l’objet / d’aucune indivision »), ces poèmes doux-amers sont portés par une élégance folle, parfois teintés aussi d’une irrésistible fantaisie, que l’on croirait signés par un clown triste. Le poète spadois se fait, aussi, chroniqueur des choses (et des êtres) de la vie. On croise ainsi Mercedes, Ann, sa voisine Cécile, une jeune femme qui lit Süskind (et qui sent divinement bon). Logist est là, à la lisière du monde, tel un observateur sur son mirador, sommé de justifier pourquoi il aime voyager seul, alors que « de tout évidence je ne le suis jamais / Je suis toujours flanqué de quelqu’un qui s’incruste en moi depuis longtemps ». Nicolas Crousse, Le Soir, 29 avril 2022.

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