| La Traversée des habitudes [extraits]



Sur la Batte, un matin qu’il neige doucement
je revois cet ami dont les cils ont blanchi
Il déprime il se plaint de tout et de sa vie
du chômage qui dure et des années qui passent
en noir et blanc, du sort de ses photographies
On est dans le chemin La foule nous encercle
ça se bouscule autour Il poursuit sa complainte.
Son parapluie se prend aux cheveux d’une fille
comme lui d’Italie et leurs rires se croisent
Toute la neige glisse et sa tristesse avec :
Ils ont des amis communs, peut-être des cousins
Ils s’esclaffent ensemble entrelacent deux langues
Un soleil sicilien réchauffe les flocons
Massimo m’offrira un verre après l’hiver.




Nous sommes trois debout dans une file indienne
attendant que la pharmacienne se libère
d’une quinquagénaire en proie à ses démons
ménopause neurasthénie et cellulite
Nous sommes là qui triturons nos ordonnances
toi pour ton viagra, lui pour sa méthadone
moi pour un supplément de vitamine D
trois hommes que leur vie malmena jusqu’ici
La pharmacie est de garde jusqu’à midi
Des miroirs trop polis accusent nos profils
Un ensoleillement hors saison s’y reflète
Le temps est arrêté mais l’ennui veut poursuivre
le cours interrompu d’un dimanche d’hiver
fatigue, accouplement, solitude et sevrage.




Tenir la chambre
écrire mes poèmes
sur le temps qui n’est plus
sur l’inconfort d’aimer
sur les amis qui n’ont
plus tout à fait les mêmes
égards à mon endroit
depuis que mon bonheur ne passe plus par toi.
Me souvenir aussi
que nous faisions l’amour
dans l’éveil de nos sens en dépit du bon sens.
Rester au lit Écouter la Brit pop qui ne vieillit jamais
Prendre une cigarette, l’écraser convaincu
que fumer le jour nuit davantage que la nuit.


Tous les poètes font semblant
d’être tristes ou d’être gais
semblant d’écrire des vers blancs
ou rimés si bon leur semble.
Quand ils sont gais, ils abordent
la vie avec le sourire le vin sans sobriété
tristes ils exécrent leur nombril
et leurs semblables semblablement exécrables.
Les poètes mettent des mots
mots qui pleuvent ou qui volent
comme ils peuvent et où ils veulent.
ça les console d’être poètes
mais en surface en vérité
ça ne résout pas leurs poèmes.


« Quelle époque », grogne-t-elle.
Le bus n’est pas pressé. Il avance à pas d’ours
Lovés sur les sièges du fond, garçons rieurs
aux corps graciles, deux ados se roulent des pelles
« Quelles moeurs », acquiesce-t-il.
Ils sont vieux comme le monde
désapprouvent de concert parlent un peu de tout
des plaisirs et des jours
Elle se rend sur la tombe
de son deuxième mari
Il va à l’hôpital Peut-être une tumeur
Il demande où descendre
« C’est l’arrêt juste avant le cimetière », dit-elle
Je suis seul à sourire dans ma barbe d’imberbe.

Si on ouvrait le dimanche matin
qu’est-ce qu’on y trouverait ?
À coup sûr des croissants
peut-être des oeufs frais, des grasses matinées ?
des promesses de soleil ?
des retours de la messe ?
des étreintes suspendues
par le rire des enfants ?
Est-ce qu’on retrouverait
dans les entrailles tièdes
d’un dimanche matin
les joies acidulées
du week-end qui culmine
à son humble zénith ?



Indivisible vie
arrête-toi
un peu marque une courte pause
Regarde-moi comme un ami
dont on ne sait plus trop que faire
parce qu’il n’a jamais
écouté vos conseils
Je suis toujours à toi
désireux de mieux faire
à l’avenir s’il vient
Indivisible vie
Escorte-moi longtemps
partagé mais vivant.


	
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