
La forme du sonnet n’a rien de désuet : elle est apte à s’unir au poème moderne. Depuis près de trente ans, Logist navigue à vue entre le vers compté, le vers libre et la prose. Ecrire ces soixante sonnets, rimés ou libres, est-ce s’exhiber insolemment, ou au contraire, avancer masqué, une fois de plus dirait-on, chez ce poète coutumier du fait? Tous les poètes font semblant / d’être tristes ou d’être gais / semblant d’écrire des vers blancs ou rimés si bon leur semble – c’est donc bien la même chose. Mais chez Logist, la feinte n’est pas gratuite. Quand son poème s’adresse à la deuxième personne, est-ce à l’autre ou à lui-même qu’il parle, pour esquisser le tableau pointilliste de ces amours bâtardes et de ces sentiments nouveaux ? S’il n’est pas revenu de tout, il connaît l’inconfort d’aimer, il sait qu’aimer c’est enfermer une vague dans un vase. Il y a chez Logist un chroniqueur amusé sans amertume, plus indulgent que narquois, des modes d’être contemporains, un moraliste empathique qui vous rappelle que vous côtoyez vos ombres et naviguez à vue / comme on traverse une habitude.
Mais c’est à la première personne qu’il nous touche le mieux et qu’il joue le plus subtilement avec le voile de sa propre nudité : Les papillons me considèrent / comme un des leurs. Je laisse dire. Ce livre bienveillant respire un optimisme prudent mais affirmé et l’on devine plus qu’on ne lit, que l’expérience d’un homme y vibre et affleure par vagues. Rien de triche dans le poème lorsque le poète avoue qu’il a rangé ses traumas dans le tiroir du bas et que demain s’écrit. Ainsi peut-il, une fois traversée avec charme les lacis d’habitudes vitales ou poétiques, s’adresser directement à la vie comme à une amie dans deux poèmes judicieusement rangés vers la fin du recueil et dans lesquels l’émotion qui sourd est toute entière celle du lecteur : Indivisible vie / arrête-toi / un peu / marque une courte pause // Regarde-moi comme un ami / dont on ne sait plus trop que faire […] Indivisible vie / escorte moi longtemps / partagé mais vivant. Gérald Purnelle in Le Journal des poètes, 2018
Il y a des livres qui ont cette curieuse propriété : on les lit d’une traite, on les referme, et, on ne sait pas trop pourquoi, on se sent tout guilleret. On siffloterait même toute la journée un air de Brit Pop en faisant la queue à la poste ou au supermarché. Oui. Malgré le temps maussade et les nouvelles franchement pas joyeuses que déverse la radio. La Traversée des habitudes, dernier recueil en date de Karel Logist, pourrait fort bien, pour certains et certaines, être un ouvrage de cette trempe. C’est qu’en cinq fois douze textes, Karel Logist y traverse le monde, rencontre des gens, nous fait des confidences, tire le portrait de ses amours de toujours ou de ceux de passage, philosophe sur l’écriture, papillonne, léger et serein, du désir aux larmes, de la tristesse à la joie. C’est qu’en n’édulcorant rien, Karel Logist parvient, par je ne sais quel miracle, à rendre la vie pétillante à l’extrême. Vincent Tholomé, in Le Carnet et les Instants.