| Un danseur évident [extraits]


un poco loco

C’était une nuit de grand cynisme
La lune pleurait des marées
On avait mis des chiens à table
Des colliers de larmes de loup
Autour de la gorge des filles
Chacun voulait battre son fou
Mais les fous ne se montraient pas
Et restaient assis en silence
Dans les coulisses du paradoxe
Les enfants parlaient de me pendre
De me livrer aux fourmis rouges
Puis de me faire brûler vif
Et j’avançais à pas prudents
Dans le sillage de leurs jeux
En faisant flèche des serpents
lovés autour des jours heureux.


tears inside

Il se peut qu’elle passe
Comme à son habitude
Vivement
Les jambes nues
L’œil noir comme je l’aime
Et que ce coup de vent
Balaye les paroles
Que j’aurai préparées
Et quelques certitudes
Qu’elle ne s’étonne pas
Qu’au lieu de vivre un peu
Je regarde pleuvoir
Autour de moi le monde
Et ses baleines blanches
Qu’au lieu de lui sourire
Je regarde trembler
Immobile et muet
Mes doigts tenant la page
D’où s’efface notre histoire.

don’t explain (pour T.B)

Tu t’étonnes de la femme à barbe
Et tu t’indignes de la dette
Tu t’émerveilles du poids des vagues
Tu ris aux anges quand tu aimes
à la fille qui te fait l’amour
Tu titubes dans un champ de mots
Miné bien avant ton passage
Tu soupires en la compagnie
De vieilles filles sans merci
Qui te congratulent d’être jeune
Et tu saignes de la bêtise
Et tu te blesses avec l’idée
Que tout a déjà été dit.

so what

D’autres posent là une couverture, un carton
Une paillasse, un matelas, pas elle.
Elle est assise par terre, à même le sol
Qu’il soit de poussière ou de boue
De huit heures à midi.
Après quoi, Dieu seul
Si elle croyait en lui
Saurait ce qu’elle devient et où elle disparaît.
Tout bonnement assise là elle ne demande rien.
Elle ne tend pas la main.
Elle ne fait pas état de besoins
Ni étalage de pauvreté
Elle ne montre ni ne démontre.
Elle ne prétexte pas, elle n’invoque
Ni bouches d’enfants, ni fins de mois difficiles,
Ni gueules de chiens à nourrir.
Elle se tait.
Elle ne négocie rien ; elle n’en appelle pas aux passants
Elle les apostrophe
Sans sourciller, sans un sourire : “ Bonne chance ”.
Les exhorte-t-elle ainsi pour que toute sa malchance
Agisse comme un paratonnerre.
Et cela s’achète-t-il ?
Cela s’échange-t-il ?
Cela passera-t-il
Comme passe le reste.

giant steps pour P.L.

Vous êtes amateurs Vous êtes candidats Vous êtes animateurs Vous êtes animés des meilleurs sentiments Vous êtes généreux Vous êtes jeune ou vieux Nous sommes à genoux devant votre génie Vous êtes aux gourous et nous sommes aux anges Vous savez les dangers Vous ne vous gênez pas Vous n’êtes pas gêné Nous aimons la jeunesse Vous ne reculez pas devant aucun spectacle Vous ne reculez pas devant aucun obstacle Vous ne roucoulez pas Vous n’êtes pas pigeon Vous faites en six cents signes le tour de la question Vous êtes chaste et pur Vous baisez comme un dieu N’avez pas froid aux yeux Vous êtes chaud lapin Vous avez l’œil narquois Vous narguez la femelle Vous savez l’argument qui gagne ses faveurs Vous êtes un bel esprit Vous faites jolie figure Hantez un corps parfait Votre haleine impeccable parfume quatre langues Vous mangez tous les jours de ce pain-là c’est bon Vous ne vous mêlez pas Vous n’emmêlez personne Vous en menez plutôt large Vous êtes assureur Vous assurez Vous êtes rassurants Vous aimez le pouvoir Vous êtes amateurs Vous êtes éclairés. Nous sommes rassurés.

‘round midnight

Toutes les nuits, tu as de petites peurs
Souples et malléables comme des bras d’enfant
Autour de tes épaules nues
Tu crains qu’il soit l’heure
Des cambrioleurs roux
Tu crains que les volets ne se relèvent pas
Restent à jamais coincés
Que la rouille, le brouillard, de mauvaises pensées
Ou de mauvaises rencontres t’imposent leur loi
Tu crains que ce soit lui
Les bras mouillés de sang
Qui vient chercher son dû
Toutes les nuits, tu caches tes jouets
Sous l’oreiller des fées
Dans la botte du géant
Toutes les nuits, tu serres tes angoisses
Tu les tords, les étreins,
Tu les trais ; il en sort
Une transpiration qui te chasse du lit
à la rencontre de bruits, de craquements et de voix
Dont le jour se souvient,
Et des rêves aussi.

lush life

C’en est fini des jeux de gamin, tu t’équipes
D’un cellulaire aux aguets à ton flanc
D’un costume trois pièces, de quatre cravates gaies
Une pour chaque jour de la semaine
Et sous cette livrée, on t’arme capitaine
Adoubé par la main qui t’a tenu la tête
Hors de l’eau quand l’humeur était à la noyade
Loin du four quand le gaz entrait dans tes poumons
Tu vas leur montrer qui est le maître du monde
Bleu électrique où tes cavaliers se déplacent
Dédaigneux des ténèbres et de la pesanteur
Et tu vas leur apprendre à ces bourreaux fantômes
Qui détient qui décide et qui dicte sa loi
Aux marchés
Aux marcheurs
Aux marches du palais
à la belle princesse
Qui snobait tes caresses
Tu t’équipes, tu t’armes
D’un bonheur sur mesure et d’un destin portable


	
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