Moi aussi je voudrais avec les blocs de pierres laissés à l’abandon (les souvenirs heureux que tu as mis en tas pour mieux les oublier) construire à l’identique un couple en tout semblable à ce que nous étions lorsque nous étions fiers graves souvent jaloux Que sont devenus les fous rires qui savaient nous prendre la main nos grands projets nos doux délires ont-ils suivi d’autres chemins ? Nous avons l’âge de nos pères et nous ne savons plus aimer Et je voudrais comprendre pourquoi si peu d’années ont érodé les murs fissuré la façade et comment l’habitude a tué les amants comment le pincement au cœur, l’absence amère et le soupçon du pire à chaque instant sans l’autre se sont évanouis éboulis oubliés dans une poussière d’été |
Il y avait un jeu de cartes éparpillé sur le trottoir mouillé à quelques mètres devant chez toi Nous sommes passés en les évitant Tu as monté l’escalier après moi Tu m’as dit Arrête lève un peu ton pied droit et tu m’as montré en riant comme s’il s’agissait d’un augure collé à la semelle de ma basket un crasseux roi de cœur Cela signifie-t-il ? Et pourquoi souris-tu à travers quelles larmes remontées en surface ? |
Elle m’apporte ses poèmes sur lesquels il a un peu plu je lui rappelle ceux que j’aime et ceux qui simplement m’ont plu Elle dit « excuse l’imprimante… » Elle vient de lire Maldoror Elle a une haleine de menthe et prend sa vie à bras-le-corps Je voudrais lire avant l’hiver Le Bateau ivre sur ses lèvres) |
Orgie à la ruine On égorge en cuisine les ogres sont muets Qui leur demande l’heure sur le coup de minuit aura le cœur percé de quatre gousses d’ail puis la tête coupée On égorge en cuisine sans façons, ni regrets sans passion, ni rancune ça se passe entre nous entre gens d’un même monde bâtisseurs du chaos inventeurs de l’espace et malgré tous nos soins ces recettes s’ébruitent et font le tour du monde. |
Et l’on s’en veut d’avoir laissé les heures tout envahir comme de mauvaises herbes entre de vieilles pierres (les heures de sommeil de mensonge et d’ennui les heures dans le passage) Et l’on s’en veut d’avoir été lent et lourd quand il eût fallu laisser le vent soulever notre vie partir sans hésiter sans l’ombre d’un scrupule Aujourd’hui – faut-il encore parler de jour ? – il se fait tard, nos voix nos maisons, nos parcs, nos jardins sont dévastés par l’incurie et la nuit nous en fait reproche Dans la chambre des morts une porte claque aux âmes |
On vous a vus mesurer la lumière On vous a vus danser dans l’oeil de l’engrenage Dessiner au pastel les lèvres d’un tueur Repasser les contours de son portrait-robot On vous a vus sourire à la terre comme au ciel On vous a vus baiser les pieds d’une statue On vous a vus tracer des croquis sur vos mains On vous a vus lancer de lourdes ombres nues à l’assaut des nuages et percer leur blancheur avec vos crayons gras On vous a vus baisser les yeux, détourner le regard de toute nostalgie On vous a vus les mains au fond des poches étreindre des couteaux de marbre On vous a vus numéroter des pierres On vous a vus monter l’escalier invisible qu’on disait transparent On vous a vus cueillir aux branches des cerises On vous a poursuivi mais vous alliez plus vite On vous a vus percer des boîtes aux lettres Retirer les mauvaises nouvelles de la main gauche On vous a vus posé des pierres sur l’arpent On vous a vus semer des jardins sur le toit. On vous a vus sourire. |
Un architecte doit savoir : arpenter mais aussi charpenter, dessiner mais aussi destiner, compter mais aussi raconter intervenir mais aussi inventer créer loin des chantiers battus Un architecte doit non seulement mais aussi ensemble savoir faire des plans et faire des enfants. |