Ils savent le jour Ils savent le chemin Ils savent comment conduire une vie Leurs chaussures sont d’usine leurs aventures aussi Ils avalent le brouillard du matin Ils savent dans quel sens ils savent de quel droit Tout est clair et pour l’heure ils sourient Ils ne reculent pas ils ne raccrochent pas S’ils foncent à corps perdu, s’en donnent à cœur joie c’est en plaçant leurs pas dans l’empreinte d’hier Ils savent de mémoire l’horaire des retours. |
Dans ma chienne de vie Il n’y a pas cent choses que j’aime avec fracas : mes livres sont muets qui parlaient du bonheur Il y a bien le rire d’un enfant sous la pluie La course d’une étoile ou le flanc d’une vague Il y a mes plaisirs domestiques, leurs revers (puis toi mais tu t’en vas toujours) Il y a le bien-être qui ne dit pas son nom Et qui s’en va aussi pour d’autres, comme toi Comme le jour avec la nuit et ses couleurs Ce soir nous sommes deux parmi vingt : tu souris Tourné vers les poètes j’applaudis ton profil Et les voix et les mots et ta beauté qui filent. |
Ne touchez pas les fils même tombés sur le sol de la littérature de gare, direz-vous Cannes à pêche, promesses, drapeaux et inquiétudes gardez ces grands objets à distance des rails Le soupçon m’électrise et dans mes solitudes je m’ébroue de chagrins gros comme un jour heureux je craignais et je crains la vie plus que la mort et ne ramasse jamais le feu avec mes mains en cherchant le sommeil je troue de rêves creux l’oiseau qui croyait faire le printemps sur ces fils. |
Ne roue jamais de coups un ami de fortune ne l’admoneste qu’avec de riches réserves de miel Il te les rendrait au centuple, ces coups avec les joies et les tourments d’un corps qu’à l’insu du temps il prolonge Ne foule pas aux pieds un ami de passage mais veille que ton visage survive en lui jeune et lisse comme une poire et qu’un rire de fontaine s’échappe encore de lui lorsqu’il sera stérile, avare, accablé d’années et de maux, et qu’il se souviendra intarissablement d’avoir bu avec toi. |
Je préfère une cause légère Je préfère un train de fleurs fanées Les veines de ma mère ont les mêmes traverses Je suis né dans l’Impasse des possibles Je préfère une cause légère des amours de passage un bonheur éphémère un coucher de soleil un amitié en août La gravité du monde, je la dédie à d’autres Je préfère égarer la tangente et recouvrir mes traces par mes pas Les loups, s’ils ont mangé nos pères, nous ont au moins laissé leurs rêves à ronger. |
Et j’aime ton rire aux fossettes et j’aime ta courte mémoire et j’aime pourquoi tu te fâches et j’aime comme il faut t’aimer – et j’aime quand il faut rester parce qu’il est tard que tu doutes et j’aime comment tu hésites à dire que tu t’éloignes à dire que tu nous lâches et j’aime tes désistements tes coups de cœur tes coups de bluff et tes retards en amitié et tes mensonges par omission et j’aime regarder passer au printemps les filles avec toi et quand tu donnes d’un sourire le signal de se retourner |
De quatorze heures à la tombée du jour Marco, tu viens ici t’asseoir sur ces pelouses et voir s’y prélasser des garçons amoureux et des filles dénudées puis tu rentres chez toi parce que les policiers quand vient la nuit opèrent des contrôles (tu ne supportes plus leurs yeux sur ton regard) Tu as trente ans, tu t’habilles de jaune pour paraître plus jeune et pour être mieux vu également de ceux qui cherchent le soleil en des endroits secrets où l’herbe piétinée est moins verte qu’ailleurs – et qui se laissent toucher les poings serrés. |