| J’arrive à la mer [extraits]


Ils savent le jour Ils savent le chemin
Ils savent comment conduire une vie
Leurs chaussures sont d’usine
leurs aventures aussi
Ils avalent le brouillard du matin
Ils savent dans quel sens
ils savent de quel droit
Tout est clair et pour l’heure ils sourient
Ils ne reculent pas ils ne raccrochent pas
S’ils foncent à corps perdu, s’en donnent à cœur joie
c’est en plaçant leurs pas dans l’empreinte d’hier
Ils savent de mémoire
l’horaire des retours.


Dans ma chienne de vie
Il n’y a pas cent choses que j’aime avec fracas
: mes livres sont muets qui parlaient du bonheur
Il y a bien le rire d’un enfant sous la pluie
La course d’une étoile ou le flanc d’une vague
Il y a mes plaisirs domestiques, leurs revers
(puis toi mais tu t’en vas toujours)
Il y a le bien-être qui ne dit pas son nom
Et qui s’en va aussi pour d’autres, comme toi
Comme le jour avec la nuit et ses couleurs
Ce soir nous sommes deux parmi vingt : tu souris
Tourné vers les poètes j’applaudis ton profil
Et les voix et les mots et ta beauté qui filent.

Ne touchez pas les fils
même tombés sur le sol
de la littérature de gare, direz-vous
Cannes à pêche, promesses,
drapeaux et inquiétudes
gardez ces grands objets à distance des rails
Le soupçon m’électrise et dans mes solitudes
je m’ébroue de chagrins gros comme un jour heureux
je craignais et je crains la vie plus que la mort
et ne ramasse jamais le feu avec mes mains
en cherchant le sommeil
je troue de rêves creux
l’oiseau qui croyait faire le printemps sur ces fils.

Ne roue jamais de coups un ami de fortune
ne l’admoneste qu’avec
de riches réserves de miel
Il te les rendrait au centuple, ces coups
avec les joies et les tourments d’un corps
qu’à l’insu du temps il prolonge
Ne foule pas aux pieds un ami de passage
mais veille que ton visage survive en lui
jeune et lisse comme une poire
et qu’un rire de fontaine s’échappe encore de lui
lorsqu’il sera stérile, avare, accablé d’années
et de maux, et qu’il se souviendra
intarissablement d’avoir bu avec toi.

Je préfère une cause légère
Je préfère un train de fleurs fanées
Les veines de ma mère
ont les mêmes traverses
Je suis né dans l’Impasse des possibles
Je préfère une cause légère
des amours de passage un bonheur éphémère
un coucher de soleil un amitié en août
La gravité du monde, je la dédie à d’autres
Je préfère égarer la tangente
et recouvrir mes traces par mes pas
Les loups, s’ils ont mangé nos pères,
nous ont au moins laissé leurs rêves à ronger.

Et j’aime ton rire aux fossettes
et j’aime ta courte mémoire
et j’aime pourquoi tu te fâches
et j’aime comme il faut t’aimer – et j’aime
quand il faut rester parce qu’il est tard que tu doutes
et j’aime comment tu hésites
à dire que tu t’éloignes à dire que tu nous lâches
et j’aime tes désistements tes coups de cœur
tes coups de bluff et tes retards en amitié
et tes mensonges par omission
et j’aime regarder passer au printemps les filles avec toi
et quand tu donnes d’un sourire
le signal de se retourner

De quatorze heures à la tombée du jour
Marco, tu viens ici t’asseoir
sur ces pelouses et voir s’y prélasser
des garçons amoureux et des filles dénudées
puis tu rentres chez toi parce que les policiers
quand vient la nuit opèrent des contrôles
(tu ne supportes plus leurs yeux sur ton regard)
Tu as trente ans, tu t’habilles de jaune
pour paraître plus jeune et pour être mieux vu
également de ceux qui cherchent le soleil
en des endroits secrets où l’herbe piétinée
est moins verte qu’ailleurs –
et qui se laissent toucher les poings serrés.

	
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