| Desperados [extraits]


Désespérés, nous ne le sommes
que parce que nous voulons tout
Le bonheur fou dès qu’on le nomme
prend ses belles jambes à son cou
et n’ honore plus ses rendez-vous.


Je vous salue / mes compagnons de route et de déroute / passants d’anonymes partages de mon voyage sans boussole / frères obscurs des passages secrets / Qu’on ne me cherche plus de ce côté de l’eau / dans un rang sur une scène ou dans la loge sept / Je me mets entre parenthèses / je prends le large / je déserte ma rue / ma cour ma demeure ma chambre / ma femme mon enfant et mes bêtes / pour donner corps aux quelques rêves / que je perds trop souvent de vue / pour un autre versant du monde / plus juste plus honnête / plus transparent sans doute / où j’apprends à me supporter / Et cela ne va pas sans amour / et cela ne va pas sans colère / et cela ne va pas sans regret / Ne me reprochez pas de m’être séparé / de toutes vos tendresses / elles ne sont pas perdues : je les garde en réserve / et j’en goûte chaque jour une saveur nouvelle / Je n’abandonne personne / je me sépare un peu / je cesse d’être deux / je me coupe en quatre / pour et contre vous / Vous n’allez pas comprendre / vous ne comprendrez pas / Posez là vos réponses / ne cherchez pas de clé / qu’on ne me juge pas / Je demande pardon sans confesser de fautes / à tous ceux que je blesse / Je cours après un but / dont mes yeux cernent les contours / seulement un court moment / quand des larmes apparues / m’aveuglent et repartent / comme elles sont venues. / Ne vous étonnez pas / Vous m’avez vu rompre des ponts / refuser votre bras tendu / vous m’avez vu descendre / vous ne me verrez pas tomber / Mon parachute s’ouvre / et les dés sont jetés.

Tu m’as envoyé ce sms : « tu me manques » / exactement à une heure trente quatre / En Allemagne du Sud où s’écoulent mes journées / entre l’attente et le passage du poème / je ne découvre ton mot / qu’à l’heure du déjeuner / Et que veux-tu que je réponde à cela ? / Là-bas / de l’autre côté de mon monde / tu dors avec un homme / peut-être enveloppé de ses bras / peut-être contre son dos tourné / un homme dont tu parles plutôt amoureusement / dont tu déplores juste le manque de tendresse / et que tu vas sous peu épouser / « Tu me manques » / onze lettres que tu as composées / dans quel but ? / un constat ? / un reproche ? / un regret ? / un appel ? / Qu’attends-tu que j’en fasse ? / Quel rôle me réserves-tu encore dans ce spectacle ? / dans ce jeu doux amer dont tu annonces / et dénonces les règles / au fur et à mesure que / mon – le mot amour ne me sert plus du tout – attachement / en voulant reculer progresse. / Je te retourne ton message / avec les mêmes mots / dans un autre désordre / Je ne l’efface pas. / Je ne t’efface pas. / Je ne m’efface pas.

Je me rase le crâne. Content : / plus un seul cheveu blanc / et je me rends dans cette salle de sport / que je fréquente un jour sur deux / Là des garçons au ventre plat / aux muscles bandés me saluent / m’encouragent de cent dents blanches / me narguent peut-être… / Comment en être sûr ? Ce n’est pas grave : / leur jeunesse me réconforte / Je pédale / Je cours / C’est ma grande manœuvre / Je cours et je pédale / pour n’aller nulle part / Je me proclame Atlas de la salle de sport / Atlas de fort peu d’envergure / je soulève en souffrant de modestes haltères / et rêve de porter à bout de bras la terre.

D’accord, je te promets de ne plus être sombre / et de ne plus verser des larmes sur des ombres / de ne plus prendre feu / de reprendre courage / de ne pas rester seul / Je te promets de ne plus rester tard / d’essayer / d’empêcher mes regards / de dévorer tes lèvres / de prendre du recul / Je te promets la lune / autoroute lactée que je n’emprunte guère / parce que tu n’y es pas / Mon sevrage est en cours / comme tu me l’as demandé / Tu ne t’en rends pas compte / Quand nous sommes tous deux / je ne te touche plus / je ne t’embrasse plus / je t’observe j’écoute / et je vole en secrets à tes lèvres la sève / des mots que tu murmures / des rêves que tu racontes / pour les mettre dans ce poème / dans un ordre / que tu sauras avant longtemps / quand nous ne ferons plus ensemble que des mots / sur une page qu’on tourne / Je te promets / d’être sage à tes noces / de ne pas me soûler / de jouer les enrhumés / quand rouleront mes larmes / Je te promets en somme / – un mensonge de plus / tel un café amer / expresso de fortune / exactement dosé / et vaguement suspect – / de ne plus t’adorer.

La dame d’onze heures est venue / pour ses cheveux et t’a donné / pas mal de boulot : beaucoup de mèches à arranger / à démêler à recouper / (en plus c’est une sacrée emmerdeuse par moments !) / tu es sur les genoux et l’estomac dans les talons / tu es content / tu as gagné
30 € / à la sueur honnête de ton front douloureux / que tu me donnes à embrasser / La dame d’onze heures est une pute / adorablement belle et charmante franco. / Elle exerce son art à Ans dans un meublé / Y élève un enfant entre deux rendez-vous galants / avec amour / Son annonce sur le web compte une faute d’orthographe / « jeune femme
propose des massages justes en face du Colruyt » / Pas grave, me décoche-t-elle admettant son erreur / les hommes ne sont pas trop regardant à cela / « Orthographe mon cul » / conclut-elle amusée / En hommage à Raymond Queneau ?

Après cette aventure à son corps défendant / On se retrouve seul, à fleur de peau, morose / Méchant, on pense mordre ; on se casse les dents / Même les plus beaux vers sonnent comme une prose / On rassemble des os, des rêves, des charades. / Alentour tout est mort. / L’étonnant voyageur y pose son bagage / se remémore une aube, une caresse, un port / et relate comment s’est passé son naufrage / On aura tout perdu / On repart de plus belle.

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